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Catherine Lambert Koizumi est la dernière femme qu’Émilie rencontre dans sa quête. Elle nous parle des ressources naturelles, des connaissances écologiques autochtones, des modifications du vivant et de ses limites, ainsi que de l’épandage des pesticides sur les territoires. On touche au concept de responsabilité collective, d’anthropocentrisme, et on questionne notre rapport à la nature.

 

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Catherine Lambert Koizumi est biologiste, écologiste et directrice de l’Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Malécite (AGHAMM). Après plus d’une décennie de recherches dans l’Ouest et l’Arctique canadien sur les grands carnivores, les interactions prédateur-proie et la gestion collaborative avec les communautés Gwich’in et Inuvialuit, elle s’implique aujourd’hui pour le milieu océanique à travers l’AGHAMM. À travers de nombreux projets de recherche et de conservation sur les pêches et l’aquaculture, les aires marines protégées, le savoir écologique autochtone, et les espèces en péril, elle collabore et travaille étroitement avec trois communautés : Gesgapegiag, Gespeg et Wolastoqiyik Wahsipekuk.

 

 

La
retranscription
 

 


Cette transcription n’est pas à l’abri de quelques fautes d’orthographe. Étant à l’origine audio, la lecture peut aussi s’avérer moins fluide. Nous avons fait le choix de transcrire la section « scientifique » de la discussion uniquement.
(Pour l’ensemble du contenu, nous vous invitons à écouter l’épisode au complet).

 

 

ÉMILIE -  [00:11:52] Est-ce que tu as déjà été témoin de l’épandage de pesticides sur le territoire que tu protèges ici? 

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - Oui. En fait moi j'habite tout près d'un chemin de fer, celui qui traverse la Gaspésie. Il y a 10 jours, il y avait un camp chez moi. Un des parents est venu me dire, « Ah, j'ai des gens qui travaillent au chemin de fer et ça serait bien que les jeunes ne se baignent pas parce qu'ils vont épandre des pesticides aujourd'hui. » Je suis allée valider et effectivement la société de chemin de fer de la Gaspésie utilise du glyphosate, donc du Roundup, pour tuer « les mauvaises herbes » le long du réseau ferroviaire de la Gaspésie. C'est sûr que, comme citoyenne, j'ai été un peu choquée d'être informée parce que j'ai été chanceuse de connaître quelqu'un qui savait que le chemin de fer était derrière chez moi et qu'on a un ruisseau. On se baigne à proximité depuis qu’on habite ici, depuis 10 ans. J'ai fait une recherche et effectivement ça se fait encore aujourd'hui et je trouve ça un petit peu alarmant. C'est dommage que ça se passe encore et que ça ne soit pas plus connu parce que c'est vraiment, on le voit dans le livre de Rachel, qu'il y a vraiment beaucoup d'impact. Il y a tellement d'études scientifiques qui ont paru depuis les derniers 50 ans sur les effets du glyphosate, mais ça se fait encore aujourd'hui. Et ça se fait au Québec et en Gaspésie, le long des voies ferrées. On sait que ça se fait aussi en milieu agricole également.

 

ÉMILIE -  [00:13:37] Est-ce que ça se fait aussi au niveau des forêts? Parce que dans son livre, Rachel Carson parle beaucoup de l'épandage par avion de grands territoires forestiers. Est-ce que c'est le cas au Québec?

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - Heureusement au Québec, on est chanceux parce que depuis 2001, il y a une législation qui interdit l'épandage d'herbicides par voie aérienne, mais on est la seule province au Canada qui a cette interdiction. Donc, à la place, au Québec, ils vont utiliser la mécanisation, le travail plus mécanique pour essayer de favoriser la baisse des mauvais habitats, donc des insectes qui pourraient nuire, en ayant peut-être une meilleure diversité ou une meilleure gestion des forêts. Par contre, on est à côté du Nouveau-Brunswick ici, puis c'est à une heure de route, on peut traverser. Quand on traverse la frontière, on sait qu'il y a beaucoup d'hectares de forêts qui sont pulvérisées annuellement avec des herbicides, dont le glyphosate, pour tuer des insectes, par exemple la tordeuse de bourgeon d'épinette et d'autres insectes qui pourraient affecter les plantations et les surfaces forestières. C'est drôle parce que Rachel Carson en a parlé dans son livre de «Irving», et c'est encore le cas aujourd'hui. Il y a encore des pressions, mais ça n'a pas changé. C'est encore les mêmes enjeux aujourd'hui. Malgré plusieurs pressions citoyennes, il n'y a pas encore eu de changement au niveau de la permissivité de faire des épandages forestiers avec herbicides. Et c'est à côté, donc même si ce n'est pas sur le territoire du Québec, c'est sûr qu'il y a des implications parce qu'on le sait qu’avec l'épandage des pesticides, des herbicides, ça va aller dans les cours d'eau et ça va affecter la bioaccumulation sur les poissons, les oiseaux, les insectes, les amphibiens qui vont se nourrir. Et ce sont des poissons, par exemple le bar rayé. Eux, leur frais est dans la rivière Miramichi, au Nouveau-Brunswick, mais ils vont aller sur les côtes québécoises, la Gaspésie, la pointe de la Gaspésie, et ça c'est toute la même population de poissons qui se promènent, et avec les gens qui les mangent, les saumons qui les mangent aussi quand ils sont bébés, ça fait la bioaccumulation dans l'écosystème. 

 

ÉMILIE -  [00:15:56] Alors au Nouveau-Brunswick, on traite encore avec du glyphosate. Au Québec, on traite sur le bord des chemins de fer. L'épandage aérien a été interdit. Mais est-ce que ça veut dire que le glyphosate, on n'en utilise plus en foresterie? 

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - En fait, de ma connaissance, depuis 2001, l'épandage est interdit de phytocides sur le territoire québécois. En foresterie, par contre, il y a quand même des exceptions. Donc, si on pense justement au chemin de fer, l'épandage peut être autorisé pour détruire la végétation le long du chemin de fer. Aussi, les lignes hydroélectriques sont caractérisées par des exemptions. C'est sûr qu'il y a certaines conditions, évidemment il faut que les personnes possèdent un certificat pour aller acheter et comment bien utiliser l'herbicide. Mais quand même, il y a des exceptions. On pense aussi au cas des agroforesteries, par exemple peut-être les sapins de Noël, où des vergers peuvent être exemptés de cette législation et pourraient avoir une façon d'aller chercher des herbicides pour contrôler la végétation et les insectes dans leur plantation, dans leurs vergers.

 

 

ÉMILIE -  [00:17:01] Tout à l'heure, tu parlais des poissons qui pouvaient être impactés, notamment au Nouveau-Brunswick, qui est juste à côté de chez toi ici. On parle beaucoup aussi du déclin du saumon. Est-ce que ce déclin peut être lié aux pesticides, par exemple? 

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - Oui, c'est certain qu'il y a plusieurs espèces qui vont être infectées. Puis même s'il y a beaucoup d'études, il y a encore beaucoup d'inconnus, je pense qu'en écologie, de faire le lien entre les contaminants, entre les pesticides puis les herbicides et aussi la santé de l'écosystème. Il y a encore beaucoup à faire. On fait beaucoup de projets à l’AGHAMW de monitora, de la présence, absence, caractériser les écosystèmes sur les milieux côtiers. Puis, il en reste beaucoup à faire. Des fois, il y a des initiatives au niveau communautaire qui peuvent être faites aussi pour aller chercher les échantillons sur le territoire, mais c'est certain qu'il y a une bioaccumulation qui peut se faire des toxines dans les poissons. Les saumons étant des prédateurs, c'est sûr qu'ils vont accumuler plus de toxines. Au niveau communautaire, je pense que c'est important d'en parler parce que c'est une espèce au centre de la culture Mi’gmaq et Wolastoqey aussi. Donc eux, le saumon, c'est une espèce qui est privilégiée. En Gaspésie, on est chanceux qu'on ait encore une abondance de saumon, même s'il y a un grand déclin. Par contre, dans les dernières années, on n'a plus les mêmes populations de saumon qu'on avait il y a 20 ans, il y a 30 ans. Mais il en reste, il y a des beaux spécimens, puis c'est sûr qu'il faut les protéger. Et je pense qu'il y a indéniablement un effet des pesticides aussi sur la santé, sur la reproduction des poissons également. 

 

ÉMILIE -  Quand est-ce qu'elle va s'arrêter, l'industrie? Parce que là, il y a de l'épandage encore au Nouveau-Brunswick qu'on ne peut pas contrôler, nous, en étant au Québec.

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - Ça va au-delà du Nouveau-Brunswick dans le sens qu'il y a aussi l'Ontario, c'est sûr, et les États-Unis qui sont juste au sud. Donc, en fait, il faut vraiment comprendre que la planète avec l'océan, c'est comme un grand village, il y a plusieurs espèces. Nous, par exemple, on va pêcher le thon, mais lui fait pratiquement le tour du monde. Il se promène sur des kilomètres et des kilomètres. Même chose pour les saumons, on sait qu'ils naviguent des milliers de kilomètres. Donc, on pense beaucoup trop au local, mais les répercussions sont au niveau national et international parce qu'à cause du ruissellement et du cycle de l'eau, les échanges des courants marins font en sorte que ce n'est pas tellement long que les contaminants vont se répandre sur de grandes surfaces et superficies. J'imagine que tu as sûrement aussi entendu parler du saumon OGM. Malheureusement, même au Québec, je crois qu'on était les premiers à en avoir consommé du à notre insu parce que ce n'est pas des saumons qui sont identifiés comme étant OGM. Malheureusement, au Canada, on n'a pas de loi qui oblige les producteurs à indiquer lorsque le code génétique est modifié. Les premiers individus viennent de l’île du Prince-Édouard, donc il y a des tests qui ont été faits, puis il y a des populations de saumons transgéniques qui ont réussi à grossir et qui se sont retrouvés sur le marché, c'était en 2019-2020, donc ça fait seulement quelques années. On n'a pas d'informations comme consommateurs sur quels sont les saumons OGM. Ce sont des saumons qui sont présumés grossir plus rapidement. En altérant le code génétique des saumons, on ne sait pas les effets à long terme sur l'écologie, mais même sur la santé humaine. C'est sur notre santé aussi. C'est très préoccupant de ne pas avoir plus d'informations sur les saumons transgéniques. Et puis qu'au Canada et au Québec on n'a pas de loi qui interdise la production de saumons transgéniques et où à tout le moins identifie pour savoir que l'animal a été muté avec des modifications génétiques.

 

 

Les eaux intérieures, baies, détroits, estuaires, marais, constituent un ensemble écologique de la plus grande importance. Elles sont liées de manière si intime, indispensable à l'existence de multiples de poissons, mollusques et crustacés, que si nous les laissions devenir inhabitables, tous ces êtres issus de la mer disparaîtraient de nos tables. 

- Rachel Carson, Printemps silencieux

 

 

 

ÉMILIE - [00:21:48] - Comment penses-tu qu'on peut avoir une meilleure gestion des territoires et des écosystèmes? 



 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - Je pense que ça nous prend une approche plus à long terme. Il faut avoir une vision des prochaines générations, une vision vraiment écosystémique, de ne penser pas seulement à l'effet sur un insecte, mais de penser à l'insecte qui va être mangé par le poisson, va aller dans les eaux, ça va affecter les baleines, ça va affecter les humains qui sont en milieu côtier, même dans la chaîne trophique, on prend beaucoup de notre alimentation dans la mer avec la consommation des poissons, par exemple. Donc, je pense que les gestionnaires, les écologistes, les biologistes, les gouvernements devraient avoir une vision plus large des dangers potentiels. Aussi, utiliser l'approche de précaution. L'approche de précaution dit qu'en cas de doute, on va s'abstenir plutôt que d'aller de l'avant avec de nouveaux pesticides ou avec de nouvelles substances toxiques qui peuvent être bonnes pour viser une espèce. Et comme Rachel l'a si bien dit dans son livre, donc quand on affecte, on pense être un poison pour tuer une espèce, mais en fait le poison est pour tout le monde. C'est très rare qu'un poison soit vraiment sélectif pour un seul insecte. Habituellement le poison va affecter d'autres insectes, les mammifères, les oiseaux, il va affecter tout. Donc je pense que ça prend une vision où on est responsable de la Terre et non pas juste des utilisateurs qui bénéficient des ressources de la Terre, mais je pense que si les gestionnaires peuvent avoir une approche plus large et avec plus d'amour, je dirais de respect pour la Terre, on serait en bien meilleure situation que de penser au profit et l'économie des corporations comme Monsanto, etc.

 

ÉMILIE - [00:23:34] C'est quoi, toi, ton rapport à la nature?

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - Je me considère vraiment chanceuse d'être une citoyenne de la terre. Je trouve que la nature, c'est la vie. J'espère avoir la chance dans ma vie d'être toujours en contact le plus possible avec la nature. Je me sens souvent coupable des choix de société que je fais parce que je conduis un gros camion, parce que justement les chevaux, je veux les amener en compétition, etc. Donc ça, je sais que ce n'est pas très écologique en fin de compte. J'essaie de consommer local le plus possible, d'avoir un jardin. On essaie de se nourrir le plus possible localement avec les poissons prêts, de manger ce bio, d'encourager les fermiers locaux aussi. Je pense que c'est vraiment important. Puis je pense que le consommateur a un gros impact sur la société, sur la planète, on ne le dira jamais assez. L'achat de trucs inutiles, il faut réduire les consommations parce qu'il y a trop de bébelles… Souvent je me sens coupable de faire partie de cette grosse machine-là qu'on profite d'avoir. J'essaie de réduire ma consommation autant que possible, mais je ne crois pas que ce soit assez. Je crois qu'il faudrait vraiment des changements plus radicaux dans la société. Et ça, du côté de la pandémie, je pense que ça a apporté vraiment un côté positif. Comme nous, on a commencé le télétravail à l’AGHAMW. Ce n'était pas vraiment permis ou admis avant 2020. Mais là, je me dis, mon Dieu, je ne fais presque pas de millage avec mon camion. Je viens quand même au bureau quelques jours, semaines, parce que je pense que c'est important de voir les membres de l'équipe. Il n'y a rien qui remplace les contacts humains. Mais on n'est peut-être pas obligé d'être cinq jours au bureau. Je pense que si au gouvernement, ici dans les autres entreprises, ceux qui peuvent travailler de leur ordinateur, ils peuvent adopter ces changements-là. Déjà, si on peut réduire le trafic de moitié, ce serait tellement facile. On l'a vu dans la pandémie, il n'y avait plus de trafic. On élimine, c'est facile et la Terre continue de tourner, puis on a moins d'impact. Donc, je pense que ça prend comme un changement un peu dramatique d'habitude, mais que tranquillement on y arrive. Et j'espère bien inculquer des valeurs comme ça à mes enfants le plus possible. Puis aussi faire l'effort, parce que ça prend un effort quand même pour réduire nos impacts avec notre mode de vie.

 

 

ÉMILIE -De travailler à l’AGHAMW, est-ce que tu as l'impression que tu fais une différence? Est-ce que tu trouves que le travail que vous faites pour défendre le territoire porte ses fruits?

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - J'ai la chance de travailler à l’AGHAMW et de travailler pour trois communautés autochtones. Moi-même, je ne suis pas autochtone, mais dans mon cœur, j'ai beaucoup d'affinité avec les cultures des Premières Nations depuis que je suis toute petite. Et je pense que, oui, ça a un impact. Ce n'est pas le plus gros impact du monde, mais chaque personne a le pouvoir aussi de faire un impact. Et ce qui est valorisant à l’AGHAMW, c'est qu'on travaille pour le bien-être des communautés en défendant les droits humains, les droits d'accès aux ressources des Premières Nations. Ça revient aussi à protéger l'accès, la pérennité des écosystèmes. On travaille pour essayer d'être vigilant avec les menaces de la surpêche ou les menaces des contaminants par les bateaux, les vitesses de croisière, si c'est trop élevé, par exemple, il peut y avoir des risques de collision avec des mammifères marins. Donc, on est sur plusieurs groupes de travail. Moi,   [00:25:55] 

 j'ai la chance de participer avec d'autres experts sur plusieurs groupes pour la revue de la législation, par exemple, Et ça, je trouve que c'est valorisant parce qu'en émettant nos craintes face à certaines menaces, ça peut avoir un impact. Mais il ne faut pas hésiter à le dire quand on a des craintes ou quand on voit un problème, je pense que c'est important de se mobiliser pour décrier le problème, puis que ce soit connu. Puis des fois, c'est dur d'aller à l'envers des profits des grandes corporations, mais c'est important que ça soit apporté à l'œil de nos gouvernements.

 

ÉMILIE - [00:27:47] Quand vous travaillez par exemple sur des nouvelles législations, j'imagine que vous travaillez vraiment avec le gouvernement. Comment réagit le gouvernement, est-ce que vous voyez qu'il a comme des réactions positives pour les enjeux que vous voulez défendre? 

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - Je vous dirais, ça dépend. Souvent, quand on revoit les législations, ça peut être, par exemple, avec les groupes de l'Assemblée des Premières Nations. Donc là, ils vont peut-être avoir un groupe d'experts qui vont faire note de plusieurs inquiétudes ou de changements proposés à la législation sous forme de mémoire. Ça va être proposé au gouvernement, mais ça ne sera pas nécessairement adopté. Donc c'est sûr que s'il va y avoir des discussions après ça au niveau politique, puis tous les intervenants, c'est là qu'on rentre dans le principe de la cogestion. Je pense que quand il y a des décisions à prendre, le gouvernement a intérêt à rassembler tous les acteurs concernés à la même table pour favoriser les discussions. Puis dans le passé, trop souvent, s'il n'y a pas de cogestion, chacun travaille de son côté et il va avoir une discussion qui peut souvent virer en conflit ou en discussion un peu inutile qui va finir en queue de poisson. Mais quand on a une vraie cogestion, à l’AGHAMW c'est ce qu'on valorise, mais ce qu'on n'a pas toujours, on va essayer de rassembler les acteurs principaux, puis d'être impliqué dans tous les processus de la réflexion, la discussion et la décision. Et c'est ça qui est beaucoup plus long qu'un processus à sens unique, mais qui est vraiment nécessaire pour favoriser le consensus et l'acceptation sociale des changements et la discussion. Et quand vous dites, est-ce que ça marche ou pas? Mais ça dépend. Beaucoup des individus qui sont, je vous dirais, au gouvernement, aux fonctionnaires, j'ai travaillé avec des personnes extraordinaires qui étaient super sensibilisées et qui vont pousser dans la bonne direction. Mais des fois, tu as d'autres individus, selon leurs valeurs, etc... Qui peuvent être plus fermés, et ça peut être plus difficile. Il y a vraiment aussi un enjeu humain, même si on a des structures en place qui favorisent la cogestion, la conservation, des fois ça dépend aussi du background des individus qui sont sur place, mais c'est là où on a intérêt à se parler, à mieux communiquer pour mieux se comprendre. 

 

ÉMILIE - Quand la gestion collaborative qu'on essaye de faire, elle ne fonctionne pas, qu'est-ce qu'on peut faire justement? 

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - Moi, j'ai appris avec les années qu'il faut être proactif. Donc, des fois, ça ne marche pas. Justement, on fait des efforts, on met des groupes de travail en place. Ça prend un effort de tous les partis pour que ça fonctionne. J'ai vécu à multiples reprises que des fois les fonctionnaires, exemple au gouvernement, vont changer. Ça peut être le cas de tous les intervenants, des autres groupes également. Mais quand on perd la continuité des efforts de collaboration, c'est vraiment difficile de revenir. Puis des fois, les dossiers vont vraiment traîner pendant des années. Donc, un dossier qui pourrait être réglé en deux, trois ans peut prendre 20 ans avant de faire, par exemple, une aire marine protégée. Parce que c'est des dossiers qui sont complexes. Mais, qu'est-ce qu'on peut faire? Je pense que les groupes non gouvernementaux, comme l’AGHAMW, comme les groupes autochtones, ont un grand rôle. Les groupes citoyens ont plus de pouvoir qu'on pense, il y a moyen de s'organiser. Je pense que la clé du succès, c'est d'être bien organisé. Et si dans la cogestion, on n'est pas capable d'avoir autant de collaborations, de résultats qu'on espérait, c'est de ne pas attendre que le gouvernement le fasse pour nous. Parce qu’avec la politique et les politiciens, leurs priorités changent tous les quatre ans. Donc je crois que si les groupes sont organisés, par exemple que nous on va dire, « ok bien j'ai un plan, on va travailler sur un plan stratégique, on va vous impliquer, on va vous inviter à nos rencontres, mais on va le rédiger. Si vous n'êtes pas là pour le faire, nous on va le faire.» Puis d'aller chercher les meilleurs experts possibles aussi, d'aller chercher des avocats, des biologistes, des scientifiques pour être bien documentés, faire de la bonne science, d'aller chercher aussi les savoirs traditionnels, les savoirs locaux et traditionnels des peuples autochtones, les experts dans leur milieu, ça peut être des fermiers, ça peut être des agriculteurs, ça peut être des personnes en foresterie, mais qui sont reconnues pour leur expertise. Je pense que si on veut faire un impact, c'est d'aller se documenter, d'aller bien faire nos devoirs en termes d'expertise puis de recherche, de voir ce qui se passe actuellement. Puis après ça, de s'organiser, d'aller chercher des appuis. Je crois que c'est la clé du succès pour la cogestion parce que si on travaille tout seul ou juste sur des impressions de base, on n'aura pas beaucoup de crédibilité, puis on ne pourra pas vraiment faire changer les choses. Puis d'aller chercher l'appui citoyen aussi, donc ça implique de faire connaître les enjeux au grand public puis là, c'est vrai que les médias peuvent entrer en jeu avec le devoir de diffuser l'information. Mais si nous, les premiers répondants sur le terrain, on ne va pas aller chercher les médias, les médias ne sauront pas forcément de quoi parler. Donc, je pense que c'est possible de faire changer les choses, mais ça demande beaucoup de travail et beaucoup d'organisation. 

 

 

ÉMILIE - [00:32:30] Et toi, tu travailles depuis une vingtaine d'années avec des communautés autochtones. Est-ce que dans ton quotidien, dans ta vie, ça a changé d'une manière ta vision du monde? 

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - J'ai un grand respect, une grande admiration et vraiment beaucoup d'intérêt depuis toujours pour les peuples autochtones. Je pense que leurs droits ont été bafoués depuis l'arrivée des colons sur le continent. Il y a eu une grande revendication de leurs droits et un retour en force. On est dans une année de réconciliation. On a maintenant, depuis l'année dernière, le 30 septembre, la journée de la réconciliation, qui est reconnue du point de vue national. Il y a énormément de progrès qui ont été fait. Moi je ne suis pas autochtone, mais de travailler pour eux, je sens beaucoup d'acceptation, un grand sentiment de bienvenue aussi. J'ai plusieurs amis autochtones, mais je suis sensible à leur réalité parce que je sais que chaque communauté est différente. Il y a onze Premières Nations au Québec, donc on ne peut pas généraliser non plus. Il y a vraiment plusieurs communautés avec toutes des réalités et des enjeux différents. Il y a des enjeux de base, comme l'accès à l'eau potable, qui n'est pas réglé pour plusieurs communautés nordiques. Ici, les trois communautés pour lesquelles je travaille, j'ai la chance de les côtoyer. Ce sont de belles communautés, mais qui ont leurs enjeux, comme toutes les communautés. L'enjeu de la culture en est un aussi, d'avoir eu une coupure avec les écoles résidentielles. On n'en parlera jamais assez. Il y a eu plusieurs bris intergénérationnels qui sont difficiles à rattraper, mais il y a des efforts en place pour rattraper ça actuellement. Pour moi, c'est une richesse de travailler avec eux. Je trouve que c'est un privilège. Je ne suis pas gênée d'aller défendre leurs droits et la place qu'ils devraient occuper au Canada. Cela dit, je préconise aussi l'égalité, les échanges entre les peuples. Je pense que c'est important de l'harmonie, de travailler ensemble, puis de se parler un peu, comme dans tout. C'est important d'essayer d'ouvrir la communication et de faire preuve de respect aussi, parce que chaque personne et chaque peuple a son histoire. 

 

ÉMILIE -  [00:35:03] Qu'est-ce qu'on a à apprendre de la culture autochtone vis-à-vis de notre rapport à la nature?

 

CATHERINE LAMBERT KOIZUMI - Un des prémices, je pense, de façon générale, dans plusieurs des communautés autochtones, c'est de penser aux sept prochaines générations. Je pense qu'on a tout à gagner à penser aux sept prochaines générations. On pense souvent à nos enfants, mais même à ça, des fois, dans la réalité du monde politique, c'est souvent les quatre prochaines années. Donc vraiment d'avoir une vision à plus long terme. Moi, je pense que c'est au cœur des chances de survie de notre espèce et des écosystèmes, d'avoir une vision plus à long terme et de ne pas penser nécessairement à nos intérêts actuels, mais de penser à l'intérêt et à la résilience, la persistance, la durabilité et la conservation des systèmes pour les prochaines années. Une autre approche que j'aime beaucoup, c'est le Dr. Albert Marshall qui est un Mi'kmaq ici de la Nouvelle-Écosse, qui a verbalisé le concept de two-eyed seeing « Etuaptmumk » en Mi'kmaq. C'est une approche, disons, d'un regard double qui incorpore autant d'un œil les savoirs occidentaux, du savoir scientifique, et de l'autre œil, c'est de regarder avec l'œil des savoirs autochtones, des savoirs traditionnels. Donc, c'est d'avoir une approche globale qui est basée sur la science, parce que c'est important, mais qui est basée aussi sur les savoirs et les valeurs autochtones, les valeurs traditionnelles qui sont acquises au fil des générations et transmises de façon orale ou écrite maintenant. Donc, je pense que si on peut avoir une vision intégrative, finalement intégrative et compréhensive, c'est un bel enseignement des communautés Mi'gmaq et autochtones.

 

 

Passez à l'action! Consultez l'ensemble des revendications de Vigilance OGM sur les pesticides, signez le manifeste, et participez aux futurs appels à l’action. Tu souhaites une municipalité sans pesticides ? Vigilance OGM a conconté une boîte à outils assez complète pour t'aider!

 

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Les références 

  • AGHAMM (L’Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Wolastoqey) (lien)
  • Épandage de glyphosate sur les voix de chemins de fer en Gaspésie (lien)
  • Abolition de l’utilisation des herbicides en milieu forestier, par le Gouvernement du Québec (2001) (lien)
  • Enquête | La forêt désenchantée, Radio-Canada, 21 novembre 2019 (épandage de glyphosate sur les forêts du Nouveau-Brunswick) (voir l'émission) (lire l'article)
  • Du saumon transgénique est maintenant vendu au pays, sans étiquetage, Le Devoir, 8 août 2017 (lien)
  • Vigilance OGM suit le dossier du saumon OGM (lien)
  • Le concept Micmacs “Two-eyed seeing” du Dr. Marchall (lien)