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Dans cet épisode, Geneviève Paul nous aide à mieux comprendre ce qu’est le droit et en quoi celui-ci peut être un outil de changement. Elle aborde entre autres le droit à un environnement sain, le droit à l’alimentation et le droit à l’information. Enfin, elle nous explique le rôle des procédures judiciaires telles que les actions collectives et aborde le pouvoir citoyen face à l’utilisation intensive des pesticides.

 

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L'invitée

Geneviève Paul est juriste et directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). Elle a notamment travaillé pour Amnistie internationale Canada francophone et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), où elle a mené des enquêtes internationales portant sur l’impact des entreprises multinationales sur les droits humains en soutien de diverses communautés. Au CQDE, elle plaide pour que les gouvernements fédéral et provincial s’acquittent de leurs obligations en matière de droits humains, plus particulièrement pour faire respecter le droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité et assurer une véritable justice environnementale et écologique.

 

 

La
retranscription
 

 


Cette transcription n’est pas à l’abri de quelques fautes d’orthographe. Étant à l’origine audio, la lecture peut aussi s’avérer moins fluide. Nous avons fait le choix de transcrire la section « scientifique » de la discussion uniquement.
(Pour l’ensemble du contenu, nous vous invitons à écouter l’épisode au complet).

 

 

ÉMILIE -  [00:02:20] C’est quoi la mission du CQDE?

 

GENEVIÈVE PAUL - En fait, notre mission, c'est de mettre une expertise juridique indépendante au service des citoyens et de la protection de l'environnement. Donc en gros, c'est un organisme non lucratif, un organisme de bienfaisance qui a été créé il y a 30 ans par un groupe de juristes. Puis vraiment, notre vision, c'est de protéger juridiquement le vivant, nos écosystèmes. On en est loin, on a beaucoup de travail à faire, mais c'est vraiment ça notre vision. Puis notre mission, c'est de le faire en faisant principalement trois choses. En outillant les citoyens et les citoyennes parce que ce sont eux et elles les mieux placés pour protéger l'environnement. Donc on les outille pour qu'ils connaissent leur droit et la manière... Quels sont les outils juridiques pour finalement protéger l'environnement. Ensuite, on travaille super fort pour faire évoluer le droit, donc au niveau des réformes législatives, des lois, pour que nos lois soient meilleures, pour qu'elles protègent véritablement l'environnement. Et enfin, quand c'est nécessaire, on va devant les tribunaux, on se présente devant des interventions, devant des instances judiciaires pour faire appliquer le droit ou pour s'assurer qu'il y a un accès à la justice en matière environnementale. 

 

ÉMILIE - Est-ce que toi, tu es juriste?

 

GENEVIÈVE PAUL - Oui, je suis juriste. En fait, je ne suis pas avocate, mais je dirige une équipe d'avocats et d'avocates. J'ai une formation mixte, c'est-à-dire que j'ai une formation en sciences politiques et en droit international à la base, en fait en droit international des droits de la personne.

 

ÉMILIE [00:11:44] - Tu m'as dit qu'au CQDE, vous aviez une expertise indépendante. Qu'est-ce que ça veut dire? Parce que moi, dans ma tête, c'est sûr que j'imagine que le droit, il est d'office indépendant.

 

GENEVIÈVE PAUL - En fait, il y aurait deux volets à ta question. La première, par rapport au CQDE, vraiment, c'est que dans le fond, on est un organisme de bienfaisance. Donc, en ce sens-là, on est le seul au Québec à offrir, quand je dis une expertise indépendante, c'est qu'on est le seul à être un organisme de bienfaisance qui travaille dans l'intérêt du public en offrant une expertise en matière de droits de l'environnement. Après, il y a des cabinets spécialisés en droits de l'environnement, mais ce sont des cabinets privés qui ont, par exemple, des clients. Au CQDE, vraiment, on travaille uniquement dans l'intérêt du public, on n'en tire aucun bénéfice pécuniaire, c'est un organisme à but non lucratif, on ne travaille pas pour générer du profit et on travaille avec un seul objectif en tête, remplir notre mission qui est, protéger le vivant, protéger nos écosystèmes et outiller les citoyens. Donc, en ce sens-là, je considère qu'on est indépendant. Après, est-ce que le droit est indépendant? Je dirais qu'il n'est ni neutre ni indépendant. Je pense que des fois, il y a une espèce d'aura peut-être autour du droit où on pense que le droit est forcément neutre. Moi, j'ai une perspective vraiment différente là-dessus. Pour moi, c'est très clair que le droit est influencé par les structures de pouvoir en place. Et le droit se veut aussi le reflet de nos sociétés qui évoluent. Donc le droit change avec les sociétés qui évoluent. Pour le voir, il suffit de regarder justement le progrès qu'on a entre autres fait aussi au niveau des droits des femmes, par exemple, le droit de vote, etc. Ça a évolué à mesure que les valeurs sociétales changeaient aussi. Donc, pour moi, le droit, c'est en constante mouvance et il est comme le résultat des forces de la société. C'est pour ça que c'est super important qu'il y ait une participation citoyenne forte pour pouvoir influencer le droit.

 

 

ÉMILIE -  [00:13:34] Quand tu parles de participation de citoyens, est-ce que tu penses justement au droit de vote?

 

GENEVIÈVE PAUL - J'y pense clairement. C'est super important, je pense, d'exercer son droit de vote parce qu'au final, on élit les personnes qui vont ensuite écrire, modifier et abroger les lois. Et ces lois-là ont un impact direct dans nos vies. Donc c'est super important et on peut avoir une influence en choisissant des personnes, des candidats, candidates qui représentent nos valeurs et qu'on pense qu'ils vont pousser le droit dans la direction qu'on aimerait qu'il aille. Donc oui, certes, mais il y a aussi d'autres façons, en plus du droit de vote, d'exercer une participation citoyenne. Je sais que le droit c'est complexe, puis je comprends vraiment les citoyens et citoyennes de se dire, « mon Dieu, mais c'est bien trop compliqué ». Même moi, quand j'ai commencé à m'intéresser plus aux droits de l'environnement au Québec, je me disais, « OK, c'est super compliqué, c'est long, c'est ardu ». Mais il y a des façons de s'approprier le droit et de l'exercer aussi au-delà du vote. Et je pense que c'est important. Puis les initiatives citoyennes qu'on a, qu'on voit, qui fonctionnent, sont super impressionnantes et ça peut faire boule de neige après. Puis on le voit des fois quand des citoyens réussissent à faire bouger leur municipalité. Je le sais parce que le lendemain, dans notre boîte courriel au CQDE, on a des citoyens d'autres municipalités qui nous écrivent pour nous dire, moi je fais comment pour que ma municipalité fasse la même chose, adopte le même règlement. On voit aussi que le droit peut être un outil puissant. On peut en discuter longtemps, mais les citoyens ont tout intérêt à le saisir.

 

 

ÉMILIE -  [00:15:11] Qui écrit les lois ? Et c'est quoi ta définition du droit finalement ?

 

GENEVIÈVE PAUL - On peut commencer par la définition du droit. Souvent, on fait référence au droit comme l'ensemble des règles juridiques dont on se dote comme société pour régir nos rapports sociaux. Si je dis ça plus simplement, c'est un peu les règles qu'on se donne pour pas qu'il y ait de chicanes de voisins, par exemple. C'est des règles de conduite communes, on s'entend sur certaines règles pour prévenir les conflits, la violence, pour assurer le vivre ensemble. Ça, c'est la définition un peu plus théorique. Moi, ma définition personnelle du droit, c'est aussi que c'est un outil puissant qui a accompagné et qui va continuer d'accompagner les luttes sociales pour concrétiser les avancées sociales et environnementales, j'inclus les deux ensemble, pour venir finalement des fois asseoir, consacrer des droits un peu, vraiment les protéger encore davantage, les enchâsser comme on dit, et faire progresser le respect des droits humains, le respect de notre environnement. Le droit est constamment en mouvance, en changement, mais pour moi, il est aussi constamment sous pression. Et c'est pour ça que, pour moi, la frontière est très, très, très mince entre le droit et la politique. Oui, le droit évolue en fonction des valeurs de la société, mais il y a toujours beaucoup d'influence des structures de pouvoir, des lobbies, des entreprises, qui très souvent, en tout cas dans pas mal tous les cas de figure que j'ai vus depuis au moins 15 ans, vont s'assurer que le droit ne progresse pas dans une direction qui les contraigne davantage à des normes. C'est vraiment très rare. J'en ai rencontré quelques-unes, mais c'est quand même très rare que des entreprises, notamment multinationales, soient d'accord pour plus de réglementations. Et c'est sûr, elles vont exercer leur droit de dire qu'elles ne sont pas d'accord et utiliser tout leur poids pour le faire. Donc, la vaste majorité va plaider pour des normes volontaires. C'est pour ça que je dis que c'est toujours en tension. Et j'y reviens : c’est super important que les citoyens s'impliquent.

 

ÉMILIE -  [00:17:08] Qui chapote le droit au Québec? Qui subit la pression des lobbys industriels ?
 

GENEVIÈVE PAUL - Bonne question, puis ça va me permettre aussi de répondre à qui écrit les lois. Ceux qui chapeautent le droit, je pourrais le résumer de trois manières. Il y a trois branches. C'est ce qu'on appelle la division des pouvoirs. Il y a la branche législative, la branche exécutive et la branche judiciaire. La branche législative, ceux qui écrivent les lois, c'est par exemple le Parlement du Canada ou l'Assemblée nationale du Québec. Là, c'est ce qu'on appelle le législateur, donc c'est ceux qu'on va élire, qui peuvent adopter de nouvelles lois, les modifier, les abroger. Ensuite, tu as la branche exécutive, qui fait référence au premier ministre, au ministre à la fonction publique, entre autres à certaines commissions, qui sont chargées d'appliquer et de faire respecter les lois. Ça, c'est la branche exécutive. Et enfin, la branche judiciaire, c'est quand il y a un problème, qui tranche. Donc, ce sont les tribunaux. C'est la branche qui est responsable d'administrer la justice pour s'assurer que les différends, quand il y en a, sont résolus, que les crimes font l'objet de poursuites qui sont considérées bonnes, équitables, conformes à notre structure juridique, etc. Donc finalement, les tribunaux tranchent en interprétant la loi quand il y a un conflit, quand il y a un litige. Puis là, bien évidemment, il y a toute une hiérarchie de tribunaux au Canada jusqu'à la Cour suprême du Canada. Donc, les trois branches, on les a aussi au Québec. Leur rôle va différer au Canada en fonction de ce qu'on appelle le partage des compétences entre les différents paliers. Donc si on prend par exemple le domaine des pesticides, c'est une compétence qui est partagée entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les instances municipales. Donc dans ce cas-ci, par exemple, le fédéral, c'est celui qui est responsable de l'homologation, par exemple, des produits antiparasitaires, de la fabrication, emballage et étiquetage, importation, exportation. Le provincial, lui, va gérer la distribution, le stockage, le transport, son utilisation. Puis enfin, les municipalités peuvent être complémentaires et voir plus strictes que ce que gère le provincial, par exemple, parce que leur pouvoir de réglementer en matière environnementale est reconnu. C'est important parce que des fois, et ça se comprend, certaines municipalités peuvent être frileuses, si elles vont brandir la menace de poursuite ou autre. Mais elles ont un pouvoir de réglementer en matière environnementale qui est reconnu, principalement par rapport à l'utilisation des pesticides en milieu urbain. Et la Cour supérieure du Québec, là encore en 2020, est reconnue encore une fois. C'était dans une décision quand une petite municipalité adoptait un règlement qui interdisait les pesticides, puis l'entreprise de traitement de pelouse contestait la validité du règlement adopté. Parce qu'évidemment, elle disait, « Moi, j'ai plus de business, j'ai plus de clients dans cette municipalité, je ne pourrais pas vendre mon produit. » Tant que ce n’est pas irréconciliable ou en contradiction avec la législation fédérale ou provinciale, ça peut être complémentaire. Donc, les municipalités peuvent restreindre l'utilisation de pesticides en respectant les compétences toujours.

 

 

ÉMILIE -  [00:20:10] Donc, si je comprends bien, un citoyen qui vote est finalement en lien direct avec des paliers au niveau du gouvernement. Et les élus ont une marge de manœuvre pour prendre des décisions aussi par rapport aux pesticides.

 

GENEVIÈVE PAUL - Oui, tout à fait. En fait, ce sont les personnes qu'on décide d'envoyer au Parlement du Canada, à l'Assemblée nationale ou dans nos conseils de ville, dans les conseils municipaux, qui exercent ces compétences-là. Donc elles peuvent décider d'adopter une nouvelle loi, de renforcer la loi sur la santé ou de décider de ne pas homologuer tel produit si on est au niveau fédéral ou de décider d'interdire l'utilisation de tel pesticide. C'est eux qui font partie des commissions parlementaires ou des comités qui étudient les projets de loi qui sont soumis. Donc, le législateur dont on parle, ce sont les personnes pour qui on vote. Et donc, c'est pour ça que je dis que c'est d'autant plus important d'exercer notre droit de vote. Si ce sont des questions qui sont importantes pour nous, de choisir des personnes qu'on sait qui vont représenter un intérêt public qui est favorable, dans mon cas en tout cas, à la protection de l'environnement, de la santé et des droits humains.

 

ÉMILIE -  Dans le fond, on peut voter pour les élus qui ont un discours en lien avec nos valeurs. Est-ce que je peux aussi leur écrire, comme leur envoyer un courriel pour leur parler de mes préoccupations?

 

GENEVIÈVE PAUL - Oui, vraiment, je pense que ce serait une excellente idée. Il faut qu'on soit de plus en plus nombreux à le faire. Pourquoi je dis ça? Parce qu’on a plein de témoignages qui nous montrent à quel point ça compte quand on écrit. Souvent, on pense que ça ne change rien ou que c'est un petit peu trop loin de nous. C'est sûr que c'est un petit peu plus facile des fois de saisir notre conseiller ou conseillère municipale, mais j'invite tout le monde à le faire à tous les paliers aussi. Écrivez à vos députés, à vos élus, téléphonez, demandez une rencontre. Ils ont des plages horaires spécifiques, ils ont des journées qu'ils et elles passent dans leur circonscription pour rencontrer les gens qu'ils représentent, qu'ils et elles représentent. Donc c'est vraiment important et on le sait que justement quand les citoyens et citoyennes font des demandes, partagent des préoccupations, ça a beaucoup de poids, beaucoup plus qu'on pense. Et si en plus on est nombreux et de manière répétée à le faire, c'est sûr que le message passe davantage. Et il faut garder en tête aussi que ces personnes-là, très souvent, veulent être élues à nouveau. Et on a des cycles très courts quand même. Ça va vite, ça passe vite. Donc, elles ont ça aussi en tête. Elles vont prendre le temps de vous écouter. Vous pouvez exiger un suivi. « Qu'est-ce qui a été fait à la suite de la rencontre ? Je suis préoccupée par tel enjeu. » C'est vraiment important d'interpeller vos élus. Et je dirais aussi, si on sort de la branche législative, et qu'on va dans la branche exécutive, donc la fonction publique, les ministères etc, parce qu'ils sont quand même chargés d'appliquer les lois : c'est important aussi de saisir, d'écrire au ministère, d'appeler, d'interpeller la fonction publique quand on pense que ce sont le ministère de l'Environnement ou autre qui ne remplissent pas leurs fonctions. On a le droit aussi de faire ça.

 

GENEVIÈVE PAUL - [00:23:20] En plus de ces moyens-là, il faut aussi saisir toutes les opportunités de participer aux consultations publiques qui sont menées par les gouvernements. Comme par exemple sur les questions des pesticides, c'est vraiment important de faire entendre votre voix si c'est quelque chose qui vous préoccupe et ça fait une différence ! On le voit dans certaines consultations ou des fois ça retarde la décision, parce que le gouvernement voit bien que ce sont des préoccupations importantes pour la population donc il n’a pas le choix finalement soit de ralentir ou soit de dire « oups il faut que j'ajuste le tir parce que je pense que je suis en train d'aller trop vite et la population ne se sent pas véritablement consultée.» Donc, participez, participez, participez aux consultations publiques. Il y a aussi des commissions parlementaires. Et là, vous pouvez avoir une participation indirecte en devenant par exemple membre d'organisme. Par exemple, vous pouvez devenir membre du CQDE, mais vous pouvez devenir membre d'autres organismes aussi qui travaillent sur des questions qui vous intéressent et ces organismes-là peuvent, comme c'est le cas pour le CQDE, être invités à faire des représentations devant des commissions parlementaires où on présente justement notre analyse, notre point de vue, nos recommandations sur des projets de loi.

 

 

ÉMILIE -  [00:24:33] En quoi l'utilisation des pesticides, c'est un enjeu qui est lié à nos droits ? 

 

GENEVIÈVE PAUL - C'est un enjeu directement lié aux droits humains et qui affecte plein de droits humains. Je vais donner des exemples, évidemment, mais je pense que c'est très clair. Et Rachel Carson, c'est quand même incroyable, déjà en 1962, dans Printemps silencieux et sans utiliser le langage droits humains, elle démontre bien à quel point ça affecte différents de nos droits, que ça soit par la contamination de l'eau, du sol, des écosystèmes, évidemment de notre corps, de notre santé. C'est évidemment très clair qu'il y a un impact sur le droit à la santé. Le droit à la santé est un droit humain fondamental, de la même manière que le droit à l'alimentation, à une alimentation saine et suffisante. En droits humains, ces droits-là sont placés sur un chapeau plus large qu'on appelle le droit à un niveau de vie adéquat. Ça comprend donc, par exemple, le droit à l'alimentation. Mais je pense aussi à d'autres droits comme le droit pour le public d'être informé. Je pense que là, on a vraiment dans cette industrie en particulier, de nombreux exemples scandaleux. Je pense qu'il ne faut pas avoir peur de le dire, où finalement, on peut tirer la scène d'alarme et dire « OK, le public n'est pas suffisamment informé ». C'est notre droit d'être informé dans ce qu'on appelle des décisions qui peuvent affecter nos vies finalement. Le droit d'être informé aussi des prises de décisions publiques, politiques, etc. Donc la consultation, le droit à la participation. Donc ça, ce sont des exemples de droits humains. Et bien sûr, je dois mentionner le droit à un environnement sain, qui est aussi compris dans certains pactes internationaux. Il n'était pas reconnu jusqu'à tout récemment par les Nations Unies comme un droit fondamental vraiment explicitement, officiellement nommé. Mais c'est fait depuis l'année dernière. Et le Canada a aussi reconnu le droit à un environnement sain, comme un droit fondamental et humain. Évidemment, je pense que Rachel Carson le démontre à quel point une utilisation excessive de pesticides ou une utilisation qui n'est pas faite de manière à préserver nos droits, le droit à la santé, etc. a un impact considérable, évidemment, sur la biodiversité, et donc, par ricochet sur notre droit à un environnement sain. Ce droit-là est pour nous, mais aussi pour les générations futures.

 

ÉMILIE -  [00:27:08] Tu parlais du droit à l'information et qu'il y a plusieurs exemples qui démontrent qu'il n'y a pas assez d'informations. Est-ce que tu en aurais à me donner?

 

GENEVIÈVE PAUL - En fait, je pense à de nombreuses mobilisations, que ce soit au Québec, au Canada, ou ailleurs dans le monde, où finalement les citoyens ne se sont pas sentis suffisamment consultés et informés avant qu'une décision, par exemple d'homologation, soit prise. Je pense, entre autres, que certains des gros procès aux États-Unis ont mis en relief, à travers les Monsanto Papers, des stratagèmes absolument immoraux, pour faire ce qu'on appelle des études fantômes, où finalement on a demandé à des employés de l'agro-industrie, d'écrire des études, puis on a rémunéré des scientifiques pour cautionner ces études. Donc finalement, venir biaiser les processus d'approbation au niveau gouvernemental : ça, c'est clairement pour moi une faillite des gouvernements de respecter leurs obligations vis-à-vis du public, que ce soit vis-à-vis du droit à la santé du public, mais aussi le droit d'avoir l'information nécessaire pour comprendre ce qui se passe dans nos vies. C'est la même manière, par exemple, au niveau de l'étiquetage. Est-ce qu'on a assez d'informations pour faire des choix éclairés par rapport à notre alimentation? Ce sont des exemples, finalement, de ce droit-là.

 

ÉMILIE - J’imagine que le droit à l'alimentation et les pesticides, c'est très en lien.

 

GENEVIÈVE PAUL - Oui, c'est en lien et je pense qu'il faut comprendre ce qu’est le droit à l'alimentation. Ce n'est pas nécessairement l'obligation pour le gouvernement canadien ou pour les gouvernements de mettre une assiette remplie de nourriture sur ta table trois fois par jour. Ce n’est pas ça qu’implique l'obligation internationale que les États ont de respecter le droit à l'alimentation. Le droit à une alimentation suffisante, ça veut dire que les États doivent garantir qu'on peut, comme population, disposer de la nourriture nécessaire pour atteindre un niveau de vie suffisant. Je vais parler du niveau de vie adéquat ou suffisant. Pour les droits humains, surtout les droits qu'on appelle économiques, sociaux et culturels, on ne parle pas juste de quantité de nourriture, on parle aussi de qualité. Et donc, les experts mais aussi les comités chargés de s'assurer que les États respectent les obligations internationales, ont vraiment explicitement dit « ça veut dire une nourriture exempte de substances nocives, et donc de pesticides. » C'est une obligation que les États ont de s'assurer que ce qu'on mange, c'est de la qualité. Il y a différents critères à regarder pour voir si notre droit à une alimentation saine suffisante est respecté. Je ne vais pas passer en revue tous les critères, mais peut-être en nommer certains qui peuvent être intéressants pour comprendre les dimensions et à quel point c'est large ce qu'on s'attend et que l'État fasse. D'abord, il faut que la nourriture soit disponible. Il faut qu'il y ait les ressources nécessaires pour qu'une alimentation saine soit disponible. Donc, dans ce sens-là, l'impact de l'utilisation des pesticides que Rachel Carson montrait déjà il y a plusieurs décennies sur l'eau, le sol, etc., ça vient directement affecter la disponibilité de la nourriture parce que dans de nombreux pays, on se retrouve avec des communautés souvent de petits fermiers qui ne disposent plus des ressources nécessaires pour pouvoir cultiver une nourriture saine. On parle d'accessibilité. C'est souvent un terme qui revient en droits humains. Il faut que la nourriture soit accessible en termes physiques, que tu aies un lieu pour aller en acheter ou en produire, mais aussi sur le plan économique. Ce qui est intéressant à mentionner ici, et ça a été reconnu entre autres par un expert indépendant aux Nations Unies qu'on appelle un rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'alimentation, que les nouvelles technologies et l'utilisation de pesticides ont peut-être permis d'accroître la production de l'alimentation. C'est un argument qu'on entend souvent, on a vraiment besoin de pesticides pour produire, mais à un prix très élevé et au détriment de nos droits. Et ça n'a pas permis d'éliminer la faim dans le monde. Et notre dépendance aux pesticides, notamment aux pesticides dangereux, vient directement porter atteinte à notre droit à une alimentation suffisante, puis à notre droit à la santé, comme je disais, puis à notre droit à un environnement sain. Donc, quelque part, les pesticides sont à l'origine de nombreux dommages qui viennent directement affecter nos droits, et en ce sens-là, le critère d'accessibilité n'est pas forcément rencontré. Un autre critère important, c'est la durabilité. Puis ça aussi, je pense que c'est super important qu'on le garde en tête, surtout avec l'état de nos sols actuellement, avec la crise de la biodiversité, la crise climatique. Ce n'est pas juste d'avoir de la nourriture maintenant, c'est que les générations futures puissent en avoir. Aujourd'hui, il est très clair que les pesticides peuvent persister dans l'environnement pendant plusieurs décennies et représentent, et là je cite le Rapporteur spécial des Nations Unies, « une menace globale pour tout l'écosystème dont dépend la production alimentaire.» C'est comme le chat qui se mort la queue. Un usage excessif et abusif vient finalement entraîner toute une chaîne de contamination et donc réduire la biodiversité et on accroît la crise de la biodiversité, mais aussi finalement, on peut exacerber une crise alimentaire. En ce sens-là, c'est juste certains exemples qui montrent que le droit à l'alimentation saine est complexe et exige des États qui le pensent de manière plus globale et de manière préventive. « C'est quoi le système d'alimentation? » Et qui prennent les mesures nécessaires pour protéger et garantir la sécurité alimentaire, pour qu'on ait des produits alimentaires sans danger, sans pesticides de bonne qualité. Et là, je ne vous parle même pas de la problématique, et c'est bien documenté notamment en Amérique latine, où finalement certains États exportent leurs pesticides qu'ils n'autorisent même plus dans d'autres pays. Donc par exemple au Brésil, on utilise beaucoup de pesticides qui sont interdits ailleurs et où on voit encore plus de problématiques liées à la santé et à l'alimentation comme des taux d'empoisonnement, de contamination de l'eau, etc. beaucoup plus élevés. que ce qu’on permettra au Canada, par exemple, et en Europe.

 

ÉMILIE -  [00:33:06] Quand tu dis, ils exportent leurs pesticides, est-ce qu'ils exportent les aliments qu'ils ont produits sur leur territoire?

 

GENEVIÈVE PAUL - Les pesticides directement, en fait. Des pesticides considérés dangereux, qu'on n'autoriserait plus, par exemple, en Europe, on les exporte dans d'autres pays qui, eux, vont les accepter et utiliser pour leur culture, l'agriculture. 

 

ÉMILIE - [00:33:45] J'ai l'impression que si on impacte l'environnement, il n'y a pas le choix finalement que ça touche à notre droit humain.


GENEVIÈVE PAUL - Oui, c'est un super bon point parce que c'est une des premières choses qu'on apprend quand on étudie le droit international des droits humains. Ça peut paraître hyper basique, mais dans le fond c'est vraiment important, l'interdépendance entre les droits. Souvent l'exemple qu'on donne, c'est que tu n’iras pas voter si t'as faim. Si tu as d'autres préoccupations, si tu as pas de logement, tu n’iras pas exercer ton droit de vote. Ça c'est l'exemple un peu simpliste et évident qu'on utilise, c'est démontrer que les droits sont interdépendants, interreliés et c'est comme ça qu'il faut regarder les problématiques pour pouvoir justement éviter qu'il y ait des violations de nos droits et pouvoir être dans une véritable prévention. C’est en gardant cette approche-là en tête et il y a ce qu'on appelle une approche fondée sur les droits. On encourage les États à adopter une approche fondée sur les droits humains, qui est une approche où on va regarder, « bon, est-ce qu'il y a de la discrimination dans ce qu'on fait? » Évidemment, on porte une attention particulière aux groupes vulnérables. Dans ce cas-ci, pour les pesticides, les femmes enceintes, les enfants. Je l'ai vu en Colombie, entre autres, les monocultures viennent s'installer aux abords de là où vivent des communautés autochtones, ou alors ça fait en sorte que celles-ci sont déplacées de leur territoire. Et donc, elles doivent vivre avec, finalement, à côté d'une utilisation importante de pesticides. Ça leur crée évidemment, des problèmes au niveau de la santé. Donc oui, que ce soit le droit de l'environnement sain en lien avec notre droit à la santé, le droit à l'éducation, nos droits sont interreliés, puis on va être tous gagnants et gagnantes si on approche ça avec cette lunette plus large.

 

ÉMILIE -  [00:35:27] Est-ce que finalement au Canada et au Québec, c'est des droits qui sont protégés?

 

GENEVIÈVE PAUL - Selon moi, pas suffisamment. On pourrait en jaser longtemps, mais c'est sûr qu'on a certains documents au Canada, la Charte des droits et libertés au Québec. Mais souvent, ces chartes vont protéger ce qu'on appelle en droits humains les droits dits civils et politiques. Donc, on va protéger d'emblée plus le droit à la vie et à la sécurité, le droit de ne pas te faire tuer, le droit à la liberté d'expression et d'opinion. Ça, ce sont des droits qui sont protégés, mais les droits, comme on dit, plus socio-économiques et culturels, eux ne sont pas, selon moi, suffisamment protégés ici. Ils devraient faire l'objet de reconnaissances officielles dans les chartes. Et bon, il y a des juristes en droits humains, et j'en suis, qui le demandent. Depuis plusieurs années, qu'il y a une reconnaissance claire et formelle des droits qu'on dit économiques et socioculturels dans la charte. Donc, on modifie les chartes en ce sens. C'est sûr qu'on peut aller chercher une protection indirecte. C'est des stratégies de juristes et c'est ce qui est fait par exemple en ce moment face à la crise climatique, il y a certaines démarches judiciaires où par exemple on poursuit le gouvernement canadien pour son inaction climatique et certains jeunes vont dire « ça va affecter mon droit à la vie et à la sécurité ». On va y aller par les droits qui sont protégés dans les chartes, mais il n'y a aucune raison pourquoi on ne protégerait pas aussi ces droits de manière formelle. Donc, de manière générale et même au-delà des textes, ils ne sont pas suffisamment protégés. Par exemple, le processus d'évaluation des pesticides est critiqué de toutes parts, même par les vérificateurs généraux du Canada, par de nombreux scientifiques indépendants, à différents niveaux. L'État, que ce soit au niveau du gouvernement fédéral ou provincial, faillit à son obligation en fait de protéger nos droits et de s'assurer que c'est sa priorité. Parfois, on va même dans la mauvaise direction. Le gouvernement considère augmenter des limites maximales de résidus de glyphosate, tandis qu'ailleurs dans le monde, on tente de légiférer de manière plus stricte parce qu'on reconnaît les dangers pour nos droits humains, les dangers pour la biodiversité. Donc je pense qu'il y a vraiment beaucoup à faire pour que moi comme citoyenne, pour que je sente que l'État respecte mes droits en ce qui concerne l'utilisation des pesticides sur nos territoires.

 

Admettre une tolérance, c'est autoriser la contamination des denrées alimentaires destinées au public dans le but d'accorder aux producteurs et aux industries de transformation le bénéfice d'un moindre prix de revient. C'est aussi pénaliser le consommateur en lui faisant payer l'entretien d'une police économique chargée de veiller à ce qu'on ne lui administre pas de doses mortelles de poison. Mais, étant donné le volume et la toxicité des ingrédients agricoles actuels, ce travail de contrôle demanderait pour être bien fait, des crédits qu'une nulle assemblée n'osera jamais voter. En conséquence, la police est médiocre et le consommateur est à la fois pénalisé et empoisonné.

 

- Rachel Carson, Printemps silencieux

 

 

 

ÉMILIE -  [00:38:52] Quand tu parlais tout à l'heure d'implication citoyenne, je pense au procès citoyen contre les industries de pesticides qui ont eu lieu, notamment aux États-Unis. Est-ce que tu penses que ces mobilisations citoyennes peuvent inciter le gouvernement à protéger davantage nos droits?

 

GENEVIÈVE PAUL - C'est clair que ça a contribué. Je pense que ça contribue définitivement à sensibiliser. On ne devrait pas avoir à se rendre là. Pour moi et c’est la même chose pour le CQDE, ce qu’on dit c’est quand on se rend devant les tribunaux, qu’on doit se rendre à poursuivre un gouvernement ou tenter de poursuivre une entreprise, c'est parce que quelque part, il y a quelqu'un avant qui n'a pas fait son travail. Parce que normalement, on devrait avoir les lois, les règlements nécessaires pour protéger nos droits, notre droit à la santé, etc. Donc, c'est un dernier recours les tribunaux, c'est très difficile pour les victimes. Et ne serait-ce qu'avec tout ce qui a été révélé dans les Monsanto Papers et autres, ces démarches-là ont définitivement contribué à mettre de l'avant la problématique, l'urgence d'agir, à nous sensibiliser d'une part, puis d'autre part, pour exercer nos droits, au bout de compte. Il y a un dicton, « There is no right without a remedy.» Ce qui démontre qu'on peut vraiment exercer notre droit : quand ça ne marche pas les lois, c'est qu'on a un recours. Qu'il soit justiciable, c'est-à-dire qu'on puisse aller le clamer quelque part, réclamer justice devant une quelconque instance. Là, je dis tribunal, mais ça pourrait être autre chose. Ça, c'est un recours. Est-ce que j'ai une voie de recours? Est-ce que je peux faire quelque chose quand mon droit n'est pas respecté? Et c'est difficile pour les droits économiques, comme le droit à la santé. C'est difficile d'aller devant un tribunal et dire, « Mon droit à la santé n'a pas été respecté. » On a beaucoup de travail à faire pour qu'il y ait une plus grande justiciabilité de ces droits-là devant les tribunaux. Je pense aussi qu'on pourrait s'inspirer de la jurisprudence ailleurs dans le monde, qui, dans certains pays comme l’Afrique du Sud, Inde, Colombie, qui ont une jurisprudence vraiment intéressante sur ces enjeux. Mais oui, définitivement, les procès, les mégaprocès aux États-Unis ont contribué, ne serait-ce que parce que certaines personnes, très récemment en fait, se disent victimes des pesticides, je pense notamment aux travailleurs dans un contexte professionnel, et ont réussi à obtenir gain de cause devant un tribunal. Puis là, ça vient ouvrir la porte à une foule d'autres procès, puis à des milliards potentiellement en indemnisation de la part des entreprises. Là, on peut dire que ça fait bouger les choses puis ça a eu un impact.

 

ÉMILIE - Quand tu parles de la jurisprudence, ça veut dire quoi?

 

GENEVIÈVE PAUL - [00:41:39] La jurisprudence de manière très résumée c'est quand on fait référence aux décisions que les tribunaux ont rendues, les jugements, les arrêts, cette espèce d'ensemble là, c'est de la jurisprudence. C'est vraiment lié à la branche judiciaire, les tribunaux. Les tribunaux rendent des décisions, et ces décisions là, quand on dit font jurisprudence, c'est qu'elles font avancer les choses. Puis parfois, justement, quand c'est la première fois qu'on a une décision sur un enjeu, dans tous les cas, les décisions, c'est de la jurisprudence, mais il y a aussi une expression qu'on utilise, puis on dit ça fait jurisprudence.

 

ÉMILIE - On parlait des types de procès que les citoyens engagent, ça ressemble à quoi ces procès-là en ce moment?

 

GENEVIÈVE PAUL - Il y en a vraiment beaucoup à travers le monde, surtout aux États-Unis. On constate qu'il y en a d'abord plusieurs en lien avec des personnes qui se considèrent directement affectées par les conséquences d'avoir été en contact avec les pesticides sur leur santé. Beaucoup de personnes atteintes de cancer. Je pense par exemple à des travailleurs agricoles ou des membres de communautés avoisinantes qui vivaient proches d'un champ. Ensuite, de manière intéressante, on voit quand même aussi des démarches judiciaires. Ce n'est pas des procès, mais c'est quand même une démarche devant un tribunal pour contester, par exemple, quand un gouvernement homologue un pesticide. On voit de plus en plus de démarches qui disent « Pour moi, ça n'aurait pas dû être homologué. Je conteste cette décision. Je veux qu'elle soit révisée. » Puis, il y a aussi certaines plaintes qui sont en lien avec l'obligation de divulguer au public des informations sur l'utilisation des pesticides ou même sur de la publicité mensongère. Il y a certaines approches comme ça qui font partie, disons, d'une autre catégorie de plaintes. Mais celle qu'on voit vraiment le plus souvent, c'est la première, et je vais donner cet exemple-là parce que c'est récent et ça peut vraiment faire une différence dans la vie de milliers de personnes qui envisagent aussi de porter plainte ou qui ont déjà porté plainte. C'est l'exemple du retraité aux États-Unis, M. Edwin Hardeman, qui attribue son cancer, un lymphome non hodgkinien, au désherbant Roundup, après l’avoir utilisé sur une grande propriété pendant 25 ans. Son procès contre Monsanto, qui est maintenant détenu par Bayer,  aura duré 7 ans. Ça vient de se solder tout récemment quand la Cour suprême des États-Unis a refusé d'entendre l'appel de l'entreprise. Donc ça venait clore le dossier, et l'entreprise en principe, sauf erreur de ma part, doit payer 25 millions de dollars à M. Hardeman. Mais ça vient aussi, justement, ouvrir la porte à des milliers d'autres procès... Demandes d'indemnisation qui sont similaires, disons, à celles de M. Hardeman. Je pense qu'il faut aussi mentionner que même si ça c'est une bonne nouvelle pour M. Hardeman, pour la justice de manière générale, en parallèle, il y a quand même souvent encore beaucoup de demandes de réexamens de la part des entreprises de l'agro-industrie. La stratégie demeure quand même très agressive, même si là, elles n'ont pas eu le choix d'indemniser déjà. Et ça reste coûteux, long, difficile pour les personnes qui se disent victimes d'utilisation des pesticides. Donc, il faut garder ça en tête. Ça dure plusieurs années, comme on le sait, mais clairement, ça a eu un impact fort à plusieurs niveaux. Ça a permis de divulguer des milliers et des milliers de documents qui nous ont permis de comprendre aussi, de mettre le doigt sur les pratiques de certaines entreprises. Puis ça ouvre donc la porte à une possible indemnisation en termes de milliards.

 

ÉMILIE -  [00:45:20] Quand tu dis l'appel de l'entreprise qui a été refusée par la Cour suprême, est-ce que ça veut dire que l'entreprise a voulu encore contester finalement cette décision ? 

 

GENEVIÈVE PAUL - Exact. Elle a voulu contester jusque devant le plus haut tribunal du pays parce que le jury dans ce cas-ci, dans le cas de M. Hardeman, a reconnu que son cancer était causé par le Roundup et que Monsanto n'avait pas averti M. Hardeman des dangers liés à l'utilisation du produit. C'est quand même intéressant parce que la décision vient aussi confirmer que l'entreprise peut être tenue responsable, même si c'est l'Agence de protection environnementale (EPA) des États-Unis qui a autorisé le produit. C'est le résumé grosso modo du dossier, mais l'entreprise a tenté de contester justement la décision du jury jusque devant la Cour suprême.

 

ÉMILIE - Les entreprises qui produisent notamment les pesticides, ont finalement la responsabilité aussi de protéger le droit à la santé des hommes finalement?

 

GENEVIÈVE PAUL - Elles ont une certaine responsabilité, et c’est ce qui est intéressant avec ce procès-là et les autres, et je pense que c'est pourquoi l'entreprise se battait férocement, finalement, pour ne pas que ça soit reconnu. Ils ont vraiment fait le lien entre son cancer et l'utilisation de leur produit, le fait qu'il n'avait pas été suffisamment averti. Donc oui, ça nous ramène à la question de la responsabilité des entreprises et de manière générale, à mon avis, les entreprises ne sont pas assez légiférées. C'est-à-dire que la législation n'est pas assez stricte par rapport aux entreprises pour qu'elles regardent vraiment les impacts de leurs produits, dans ce cas-ci, mais de leurs activités en général sur les droits humains et sur l'environnement. J'ai plaidé pendant plusieurs années pour qu'on renforce la législation. En France, notamment, il y a une loi historique qu'on appelle la loi sur le devoir de vigilance des entreprises multinationales, où les entreprises doivent avoir un plan de vigilance. Elles doivent démontrer comment elles atteignent les mesures qui sont dans ce plan-là. Ça veut dire qu'on ne peut plus faire semblant et ignorer les risques associés à nos activités. Donc d'ignorer par exemple les risques qu'ils pourraient avoir à utiliser des pesticides, ça devient la responsabilité de l'entreprise de vraiment évaluer tous les risques et d'agir dessus. Au Canada, on est en retard, on n'a pas ce type de loi-là, j'espère qu'on va l'avoir, mais on a besoin de plus de législation parce qu'on ne peut pas s'attendre non plus à ce que les citoyens se tournent vers les tribunaux quand ils sont, par exemple, victimes de cancer. C'est très coûteux, c'est à armes complètement inégales. On parle vraiment de bataille à David contre Goliath. Et dans tous les cas, à la base, on ne devrait pas avoir à se rendre devant les tribunaux si nos gouvernements remplissaient vraiment leurs obligations. Parce qu'il faut quand même rappeler que l'obligation première revient vraiment au gouvernement. C'est à eux de s'assurer de nous protéger. Et donc, c'est à eux de s'assurer aussi que des personnes tierces, comme des entreprises, ne nuisent pas à nos droits avec les produits qu'elles vendent ou leurs activités. Donc, on revient encore au gouvernement. Et c'est pour ça qu'il y a aussi en parallèle des plaintes, notamment dans ce cas-ci à l'Agence de protection environnementale des États-Unis face à son inaction ou son action insuffisante notamment, mais on revient aussi à la responsabilité des entreprises, mais aussi obligation des États, des gouvernements d'agir pour nous protéger.

 

ÉMILIE -  [00:49:02] On a beaucoup parlé des États-Unis. Est-ce qu'il y a des recours collectifs de la sorte au Québec ou au Canada?

 

GENEVIÈVE PAUL - À ma connaissance, oui, il y en a. On appelle ça au Québec une action collective, avant ça s'appelait recours collectif. Il y en a une au Québec, mais elle a été suspendue, à la demande des personnes qui l'ont initiée, en attendant de voir ce que celle en Ontario va donner. Celle en Ontario avise tous les Canadiens et Canadiennes et leurs proches qui auraient reçu un diagnostic de lymphome non hodgkinien après avoir été exposés au Roundup au moins dix fois dans leur vie ou deux fois sur une période d'un an. De ce que j'ai cru comprendre, on reporte finalement l'étude de l'admissibilité, c'est-à-dire qu'on ne sait même pas si l'action collective va pouvoir aller de l'avant dans ce véhicule juridique là, c'est-à-dire celui de l'action collective. Et la prochaine audience est en mars 2023, donc, on ne verra pas tout de suite les dénouements. Et je sais qu'il y a certaines personnes canadiennes qui se disent victimes d'utilisation des pesticides, qui ont tenté sans succès de faire valoir leurs droits devant un tribunal américain. Donc, j'espère qu'ils pourront faire valoir leurs droits au Canada.

 

 

ÉMILIE -  [00:50:17] Concernant les maladies professionnelles, où en est ce dossier?

 

GENEVIÈVE PAUL - C'est un domaine là, dans lequel je n'œuvre pas directement, mais j'ai quand même vu qu'il y a eu des développements intéressants et positifs en tout cas pour notamment les travailleurs et les ouvriers agricoles. Par exemple, à l'automne 2021, la maladie de Parkinson a été ajoutée aux affections pour lesquelles les travailleurs qui sont en contact avec des pesticides, n'ont plus besoin de démontrer de lien avec l'exposition pour être indemnisés. Ça ne veut pas dire nécessairement que c'est facile pour eux d'obtenir justice, parce que pour pouvoir être exempté de faire cette démonstration-là, il y a quand même des critères encore exigeants. Il faut qu'ils aient été exposés, je pense, au moins dix ans aux pesticides. Il faut qu'il y ait un diagnostic sept ans au moins après l'exposition, etc. Donc, les avocat.es dans ce domaine-là, semblent dire que ce n'est quand même pas gagné, mais c'est une avancée. Et on voit de plus en plus que la Commission des normes de l'équité de la santé et de la sécurité du travail, la CNESST, reconnaît de plus en plus des cas de lésions professionnelles qu'on peut attribuer à une exposition à des pesticides ou à d'autres produits agrochimiques. Et ça, je pense que c'est intéressant parce qu'on avait vu des développements dans d'autres pays, notamment en France, et tant mieux si ça bouge aussi au Québec à ce niveau-là.

 

 

ÉMILIE -  [00:51:51] Le droit semble vraiment être un outil super puissant. Est-ce qu'il est suffisamment utilisé par les organismes et les citoyens?

 

GENEVIÈVE PAUL - Oui et non. Je pense qu'il pourrait être plus utilisé. Le droit peut définitivement être un outil puissant, mais je pense que c'est aussi une épée à double tranchant, selon qui l'utilise et comment. C'est pour ça qu'il faut faire attention. En même temps, si on l'utilise justement pour essayer de sécuriser et de faire des avancées au niveau de notre protection, de notre environnement et de nos droits, on a plein d'exemples qui montrent que ça fonctionne. Et je pense que pour ce faire, il faut qu'on soutienne les initiatives citoyennes. Il faut vraiment multiplier les démarches pour informer les citoyens de leurs droits parce que c'est complexe, mais on peut se l'approprier. C'est super important de le faire. Il y a différentes initiatives à travers le Québec. Je vais en mentionner peut-être juste une dans laquelle le CQDE a été impliqué. On est copartenaire d'un projet qui s'appelle le Réseau Demain le Québec, qui a été lancé à la base par la fondation David Suzuki. Le CQDE vient jouer aussi un rôle dans ce réseau-là parce que son objectif est d'outiller les groupes citoyens qui veulent travailler, notamment à la transition écologique. Et évidemment, il y a certaines questions qui touchent directement aussi l'agriculture, l'agroécologie, etc. Qu'est-ce que ces citoyens-là peuvent faire? Ils sont souvent super organisés, c'est hyper intéressant. Ils ont souvent plein de questions d'ordre juridique et là le CQD entre en jeu pour venir répondre à leurs questions, voir ce qui est faisable ou pas, parce que le droit n'est pas parfait, donc parfois ce n'est pas possible de le faire, mais ça nous indique ce qu'il faudrait changer dans le droit pour que ce soit possible. Donc ça, c'est un exemple d'initiative où partout au Québec, les groupes citoyens multiplient les initiatives, notamment en utilisant le droit.

 

ÉMILIE -  C'est vraiment intéressant parce qu’à Baie-Comeau on a un groupe citoyen, et on travaille avec le Réseau Demain le Québec et on voit vraiment l'importance que ça a de nous outiller. Donc ça me parle beaucoup. Est-ce qu'il y a des limites que tu vois au droit face aux industries?

 

GENEVIÈVE PAUL - Il y en a beaucoup. Je dirais face aux industries, mais aussi face au gouvernement. Parce que je pense qu'il y a trop de manque de volonté politique, mais aussi d'obstacles qui font en sorte qu'il y a des limites à ce que le droit peut faire à l'heure actuelle. On a des lois, selon moi, qui ne sont pas suffisamment contraignantes ou strictes, parfois trop permissives, qui sont incapables… Je vais dresser un portrait négatif, mais on va jaser solution aussi, parce qu'il y en a plein, mais notre système législatif et réglementaire à l'heure actuelle, selon moi, entre autres en droit de l'environnement est incapable de tenir vraiment en compte des impacts cumulatifs sur nos écosystèmes, y compris des pesticides, de nos activités en général. Incapable de considérer ce sur quoi nous interpellait Rachel Carson déjà en 1962, l'interdépendance. On parlait d'interdépendance des droits humains, mais c'est la même chose dans la nature. Tout est interdépendant, il y a un impact sur un truc, il va avoir un impact après sur le sol, etc. Et le droit doit être capable de vraiment respecter la capacité des écosystèmes. On le met dans nos principes dans certaines lois qu'on a au Québec. C'est mis, c'est écrit, mais concrètement, le droit n'arrive pas forcément à respecter ça, à faire en sorte que ça soit respecté. On n'a pas une législation et une réglementation qui est suffisamment fondée sur le principe de précaution. Quand on n'a pas la preuve scientifique ou qu'il subsiste un doute, on s'abstient, on y va en prévention, on protège l'environnement, même sans preuve scientifique absolue, on y va pas à l'inverse d'autoriser, puis après ça de se dire « oups, de se dire, on est face à une crise climatique et de la biodiversité mondiale, qu'est-ce qu'on fait? » Donc vraiment, le droit pour moi devrait changer de paradigme en ce sens-là. On n'a pas assez de mise en œuvre, pas assez d'amendes, pas assez d'inspection. Il faut se donner les moyens. On ne peut pas s'attendre non plus à ce que quelques fonctionnaires qui n'ont pas de moyens ou qui ne sont pas assez nombreux puissent vraiment s'assurer que ça soit respecté sur l'ensemble du territoire. Donc il y a aussi cet aspect-là à respecter, qui fait partie d'un des éléments qui, pour moi, explique le fait que oui, il y a des limites aux droits.

 

 

ÉMILIE -  [00:56:08] Tu parlais de solutions. Comment penses-tu qu'on peut obtenir un meilleur cadre juridique qui protégerait mieux l'environnement et notre santé face aux effets des pesticides?

 

GENEVIÈVE PAUL - Oui, il y a plusieurs pistes de solution qu'il faut explorer. Je parlais du fait qu'on ne mise pas assez sur le principe de précaution. Je pense que les lois, les règlements, doivent vraiment avoir ce prisme-là. On doit s'éloigner notamment en droit de l'environnement de ce qui est devenu finalement un encadrement du droit de polluer. Parce que c'est un peu ça finalement qu'on fait. Ça sonne réducteur, mais c'est devenu tellement complexe que finalement, on autorise à gauche, à droite, tel projet. Et puis finalement, on se retrouve avec plein de choses sur le territoire qui vont à l'encontre de l'objectif premier de la loi, qui est par exemple de respecter justement nos écosystèmes, notre eau, etc. Donc, retourner à la base, renforcer les dispositions par rapport à l'accès à l'information, registre public sur la vente et l'utilisation des pesticides. Le CQDE, comme d'autres, a déposé un mémoire aux consultations qui ont eu lieu suite aux dénonciations en lien avec le lanceur d'alerte Louis Robert, il y a quelques années. Il y a des choses qu'on peut faire au niveau de l'accès à l'information et qui doivent être faites. Il y a des choses qui doivent être faites au niveau de la protection des lanceurs d'alerte et des défenseurs de droits humains dont je vous parlais, notamment dans d'autres pays aussi, qui sont à risque. On devrait selon moi renforcer la législation pour limiter l'influence de l'industrie et garantir vraiment l'indépendance dans les prises de décisions gouvernementales. Il y a certaines lois, puis il n'y en a pas beaucoup, pour empêcher ce qu'on appelle le phénomène de porte tournante, pour justement mettre plus de distance entre l'industrie et le gouvernement, donc éviter qu'une personne passe d'un milieu à l'autre rapidement et se retrouve au gouvernement finalement dans des positions de pouvoir décisionnelles. Je l'ai dit tout à l'heure, renforcer la législation à l'égard des entreprises pour vraiment les obliger à regarder leur impact et à agir surtout avec diligence. Inciter les municipalités à utiliser davantage leur pouvoir de réglementation, donner plus de moyens aux citoyens, parce qu'après tout, c'est quand même eux les mieux placés. Et ça, même les États l'avaient reconnu au sommet de Rio il y a longtemps, en disant, « en effet, ceux qui connaissent le terrain, c'est les mieux placés pour protéger l'environnement ». Puis finalement, j'explorerais toutes les options législatives et réglementaires possibles pour accélérer la mise en œuvre des solutions. Qu'est-ce qui bloque pour l'agroécologie? Le morcellement des terres est un enjeu. Comment peut-on faciliter vraiment les petits producteurs, agriculteurs, agricultrices qui veulent mettre de l'avant de l'agriculture biologique et durable, comment est-ce qu'on peut les aider au niveau législatif et réglementaire? Je pense que ce chantier-là, urge et que ça pourrait nous aider à propulser la transition écologique et d'aller vers un droit à une alimentation saine, durable et alors le respect de ce droit-là, si on mise plus sur ces solutions, puis qu'on regarde les obstacles juridiques qui doivent être levés.

 

ÉMILIE - Est-ce que tu penses qu'on est sur la bonne voie?

 

GENEVIÈVE PAUL - J'ai pas le choix d'avoir espoir, parce que sinon, je pense que j'arrêterais de faire ce que je fais. En plus, je viens d'avoir un bébé, donc il faut que je sois dans l'action et que je transforme mon indignation en action. Est-ce qu'on est sur la bonne voie? Au niveau juridique, je pense qu'il y a beaucoup trop de choses à changer pour dire oui à cette question-là. Je pense que non, il faut changer de direction. Si on était sur la bonne voie, on ne se retrouverait pas avec les crises de la biodiversité et climatiques avec lesquelles on fait face, qui sont devant nous en ce moment. Je pense qu'il faut qu'on s'inspire d'autres approches, notamment des Premières Nations et des communautés autochtones à travers le monde, qui moi, en tout cas, personnellement, m'ont beaucoup appris avec leur vision pour, justement, qu'on arrête de se voir comme étant dominant sur la nature. Et je pense que ça doit se refléter dans le droit aussi. On peut avoir un droit où on envisage les choses de manière différente pour que ça soit vraiment durable. Le mot a été dénaturé, mais ça pourrait être un beau mot. Je pense qu'il faut, pour être sur la bonne voie, qu'on regarde aussi la panoplie dans la boîte à outils, en plus du droit. Parce que pour moi, le droit, la politique et les mouvements sociaux, c'est étroitement lié. On ne peut pas vraiment aller sans l'autre. Donc, en parallèle, il faut soutenir les initiatives populaires, les mouvements sociaux, s'éduquer aux solutions alternatives et aussi pousser pour l'éducation relative à l'environnement à tous les niveaux de la société pour qu'on ait conscience justement de l'importance de ce lien avec la nature pour qu'ensuite ça se répercute quand on devient juriste par exemple, dans la manière dont on aborde puis on met en œuvre le droit. Je pense que quand on a cette relation-là de respect, ça change aussi après la manière dont on fait les choses.

 

 

Passez à l'action! Consultez l'ensemble des revendications de Vigilance OGM sur les pesticides, signez le manifeste, et participez aux futurs appels à l’action.

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Les références

Liens et mémoire 

  • Fédération International des droit humain - Mondialisation et droits humain (Lien)

  • Centre québécois du droit à l’environnement (Lien)

  • Mémoire du CQDE sur l’accès à l’information concernant les pesticides, 25 juillet 2019 (Lien

  • Charte des droits et libertés de la personne (Lien)

  • Procès du glyphosate : Monsanto condamné, un jugement historique, Le Monde, 11 août 2018 (Lien)

  • Le désherbant Roundup une nouvelle fois jugé cancérigène par un jury américain, Radio-Canada,  19 mars 2019 (Lien)

  • Hardeman Contre Monsanto, Justice des pesticides (Lien)

  • Reconnaissance de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle, Parkinson Québec (Lien

  • Réseau Demain le Québec (Lien)