DOCTEUR MONSANTO
Une enquête réalisée par Radio-Canada a recueilli de nombreux témoignages d’agriculteurs démontrant que l’utilisation de pesticides est trop souvent inutile à cause des conseils des agronomes ou des «vendeurs»:
« Mon agronome me disait de mettre des pesticides, même quand je n’en avais pas besoin », se désole Alain Dulude, qui cultive choux, concombres, tomates, poivrons et maïs à Saint-Rémi.
Depuis qu’il a remplacé son agronome de l'industrie par un agronome indépendant, le jardinier-maraîcher utilise 40 % moins de pesticides pour produire la même quantité de fruits et légumes. (1)
L’agronome est, pour l’agriculteur, comme un médecin pour le citoyen, sa parole est écoutée et suivie. Actuellement les agriculteurs ont trois choix pour se faire conseiller par un agronome :
Les agronomes dits de «club» ou non-liés via les réseaux agriconseils ou les clubs agroenvironnement par exemple. L’agriculteur paie 10 à 30% des frais de service et les 70% à 90% sont assurés par les deux paliers de gouvernement: fédéral et provincial;
Les agronomes dits liés travaillant pour une entreprise privée qui vend des produits comme les engrais et les pesticides. L’agriculteur paie pour un produit et les frais de service sont inclus dans le prix de celui-ci;
Les agronomes de la fonction publique provinciale, leur rôle d'information restant en deuxième ligne.
« Environ 80 % des 150 à 200 membres de l'ordre des agronomes du Québec (OAQ) travaillant dans le domaine de la phytoprotection feraient aussi office de fournisseur d’intrants », estime l'OAQ. (2)
Au-delà de son salaire fixe, l’agronome lié obtient une «cote» en fonction des produits vendus. Ainsi, plus celui-ci va vendre, plus il va gagner de l’argent, ce qui est extrêmement préoccupant.
Les clubs agroenvironnement s’inquiètent de l’influence des agronomes liés: «Avec les objectifs de vendre et d’augmenter le chiffre d’affaires, les industries (plans d’engrais et pesticides) discréditent souvent les recommandations des conseillers venant ainsi alourdir leurs tâches. Les conseillers doivent justifier et re-justifier leurs recommandations auprès des vendeurs et auprès des producteurs chez qui le doute a été semé. La disparation de club conseils aurait de sérieuses conséquences par exemple l’augmentation des ventes d’engrais et de pesticides.»(3)
Le commissaire en développement durable s’inquiète aussi de cette situation:
« L’intervention gouvernementale prend toute son importance dans un contexte où les agriculteurs, qui décident de leurs pratiques agricoles, sont souvent conseillés par des représentants de l’industrie agrochimique. Ces derniers présentent les pesticides comme des outils qui facilitent le travail agricole et qui garantissent le rendement pour les productions » (4).
Il est donc inquiétant de voir que les clubs-conseils en agroenvironnement qui soutiennent efficacement les agriculteurs dans ce virage vers la réduction de l’usage des pesticides, aient vu leurs financements réduits au cours des dernières années.
Le fait que le coût des services-conseils non liés soient de plus en plus élevés est un frein à la promotion de la gestion raisonnée des pesticides. En 2014/2015, seulement 32% de la clientèle agricole s’est prévalue de ces services. Pourtant, selon le sondage effectué, les producteurs obtiennent de meilleurs résultats dans la gestion intégrée des ennemis des cultures lorsqu’ils recourent aux services-conseils financés par le MAPAQ. (4)
L'information indépendante disponible pour les agriculteurs a souffert ces dernières années des coupes budgétaires et les clubs-conseils qui emploient les agronomes indépendants se plaignent de manquer de financement. Québec a aussi coupé dans la recherche de solutions alternatives plus écologiques. Quant aux agronomes de la fonction publique provinciale, qui ont un rôle d'information de deuxième ligne, leur nombre a diminué de 30 % en sept ans. (1)
(1) Trop de pesticides inutiles dans les champs, Thomas Gerbet, Radio Canada, 4 aout 2017.
(2) Pesticides: l’indépendance des agronomes fait débat, Le Devoir, 20 février 2018. (en ligne)
(3) Consultation du BAPE, Situation dans les clubs-conseil en agroenvironnement du Québec . Bilan sommaire 2002.
(4) Pesticides en milieu agricole, Chapitre 3, Rapport du commissaire au développement durable, Printemps 2016, Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2016-2017.