SEUILS DE RÉSIDUS DE PESTICIDES
Les lentilles canadiennes font scandale en France
Montréal/Tiohtià:ke (Québec), le 17 novembre - Une récente enquête de l’émission Sur le front a révélé des analyses présentant des niveaux élevés de résidus de pesticides dans plusieurs marques de lentilles canadiennes, contrastant fortement avec les échantillons français, exempts de toute trace détectable (1).
Cette variation s’explique par une pratique agricole controversée, mais répandue au Canada : l’application de pesticides juste avant la récolte afin d’en faciliter le séchage et la récolte mécanique.
Les pesticides à base de glyphosate sont les plus utilisés pour ce type de pratique mais, dans l’émission, on parle aussi du diquat — un pesticide interdit en Europe. Quand on vient asperger les cultures juste avant la récolte, il en résulte une forte présence de pesticides sur nos aliments. Pour encadrer l’impact des pesticides auxquels la population est exposée via son alimentation, les autorités gouvernementales établissent des limites maximales de résidus (LMR) pour chaque ingrédient actif (2), sur chaque aliment. Bien que le concept soit utilisé à une échelle globale, les LMR peuvent varier d’un pays à l’autre.
« Vaporiser un pesticide quelques jours avant la récolte, c’est garantir des résidus élevés sur les aliments, explique Laure Mabileau, responsable de la campagne Sortir du glyphosate pour Vigilance OGM. Et penser que tout est réglé parce qu’on respecte une LMR, c’est oublier que la santé ne fonctionne pas avec des seuils variables et confortables pour l’industrie. »
Ce nouveau scandale n'est pas sans rappeler celui du blé Canadienne boudé par les Italiens pour la fabrication de leur pâtes (3).
Des seuils « scientifiques » modifiés à la guise des lobbys
Cette mauvaise publicité pour le Canada à l’international trouve son origine dans le travail d’influence conjoint des producteurs de lentilles canadiennes et de la firme Monsanto (racheté depuis par Bayer) : en 2012, ils ont fait pression dans le cadre des négociations du traité de libre-échange, le CETA, pour faire relever les limites maximales de résidus de pesticides autorisés sur les lentilles.
Résultat : ces seuils ont été multipliés par 100, passant de 0,1 ppm à 10 ppm.
« Il est déplorable de voir que nos gouvernements acceptent de modifier des normes censées protéger la santé en fonction d’enjeux politiques ou économiques, déplore Mme Mabileau. L’encadrement des pesticides est défaillant, et en plus nous l’utilisons comme parade pour satisfaire des intérêts financiers. »
D'un scandale à l'autre
À l’été 2021, Santé Canada avait provoqué un tollé en proposant l'augmentation des seuils de résidus de glyphosate autorisés sur de nombreux aliments (4). Parmi eux, les lentilles. L’histoire avait été amplifiée lorsqu’une demande d’accès à l’information avait permis de se rendre compte que cette proposition émanait directement de son principal fabricant, Bayer/Monsanto (5). Devant l’ampleur de la réaction, le gouvernement a annoncé en urgence le gel des augmentations de LMR (qui a duré plus de deux ans) et lancé un ambitieux « processus de transformation de l’homologation et l’évaluation des pesticides » par l’ARLA (6) visant à « favoriser la transparence, l'utilisation de données scientifiques probantes et indépendantes et les contributions aux processus décisionnels » (7). Quatre ans et 42 millions de dollars plus tard, ce processus de transformation n’a abouti qu'à très peu de changement (8).
« Santé Canada n’a pas adressé l’enjeu de l’influence de l’industrie sur son travail et exporte les résultats de son échec sur les marchés européens, explique Mme Mabileau. On se plaint souvent des mauvais élèves qui importent des produits ne respectant pas nos normes environnementales : ici, c’est le Canada qui est le mauvais élève ».
Sur les réseaux sociaux, l’animateur de Sur le front, Hugo Clément, a appelé à boycotter les lentilles canadiennes dans une vidéo qui cumule de très nombreuses vues.
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(1) Voir l'émission Sur le front, « Libre-échange : c’est notre nourriture qui trinque » du 10 novembre 2025
(2) L’ingrédient actif est le produit chimique qui confère théoriquement son « pouvoir » au pesticide. Il ne faut pas le confondre avec la formule commerciale d’un pesticide qui inclut un ensemble de substances chimiques : son ingrédient actif et ses « adjuvants ». Des études démontrent que certains adjuvants sont plus nocifs que leur ingrédient dit actif. Actuellement, seul l’ingrédient actif d’un pesticide est évalué par les autorités sanitaires pour son homologation, empêchant l’évaluation de l’effet dit cocktail (les interactions entre toutes les molécules chimiques) que ce soit au sein de la formule commerciale du pesticide ou entre les différents pesticides épandus dans la nature.
(3) « Les Italiens boudent le blé canadien au glyphosate », Catherine Mercier, Radio-Canada, le 15 février 2019
(4) « Santé Canada veut autoriser plus de pesticide glyphosate sur des aliments », Thomas Gerbet, Radio-Canada, le 19 juillet 2021
(5) « Glyphosate : c’est le géant Bayer qui a demandé au Canada de revoir les limites », Thomas Gerbet, Radio-Canada, le 23 juillet 2021
(6) Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire
(7) Rapport annuel 2021–2022 de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire
(8) « Évaluation des pesticides | Échec du programme à 42 millions de dollars », communiqué de presse, Vigilance OGM, le 21 août 2024
Contact :
Laure Mabileau, communication@vigilanceogm.org, 438 395-6121