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De la rigueur

Une réponse éclairée à l’article d’opinion de Serge-Étienne Parent

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Le 4 août dernier, The Conservation (ainsi que le Huffingtonpost et Le Soleil) publiait un article d’opinion qui fut fortement partagé sur les réseaux sociaux. Cet article vantait - à tort - les bénéfices environnementaux de l’agriculture industrielle mondialisée au détriment de l’agriculture biologique de proximité.

Quelques jours après, un des cofondateurs de l’Union Paysanne, Roméo Bouchard, publiait une réplique cinglante basée sur les bienfaits d’une agriculture humaine.
La semaine dernière, c’était au tour du jardinier-maraîcher Jean-Martin Fortier.
Aujourd'hui, au nôtre.

Vigilance OGM dénonce à son tour cet article et propose ici de faire une « vérification des faits » à partir des références que l’auteur a lui-même utilisé. En effet, en allant lire ces références, on s’est rendu compte que Serge-Étienne Parent citait les parties des études qui lui convenait, ignorant totalement certaines conclusions qui allaient à l’encontre de son argumentaire.

C’est ce que l’on appelle du « cherry picking ».

 

Conventionnel VS biologique
 

« L’agriculture biologique est pire pour la nature que l’agriculture conventionnelle. » 

- Serge-Étienne Parent

 

Alors que M. Parent parle de la méta-analyse (1) qui aurait quantifiée « à quel point l’agriculture biologique serait pire pour l'environnement », il néglige totalement les sections qui disent que l’agriculture conventionnelle a ses défauts aussi. Cette méta-analyse ne permet finalement pas de conclure quel système est plus durable.

« Although organic systems have higher land use and eutrophication potential and tend to have higher acidification potential, this should not be taken as an indication that conventional systems are more sustainable than organic systems. Conventional practices require more energy use and are reliant on high nutrient, herbicide, and pesticide inputs that can have negative impacts on human health and the environment. »

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Traduction via Google translate :

« Bien que les systèmes biologiques aient un potentiel d'utilisation des terres et d'eutrophisation plus élevé et aient tendance à avoir un potentiel d'acidification plus élevé, cela ne doit pas être considéré comme une indication que les systèmes conventionnels sont plus durables que les systèmes biologiques. Les pratiques conventionnelles nécessitent une plus grande consommation d'énergie et dépendent d'intrants riches en nutriments, en herbicides et en pesticides qui peuvent avoir des effets négatifs sur la santé humaine et l'environnement. »

 

Dans la même section, M. Parent va aussi jusqu’à dire que « l’agriculture biologique produirait plus de gaz à effet de serre (GES) que l’agriculture conventionnelle ». Les sources de l’écologue nous apprennent que la probabilité que la différence observée (et sur laquelle il se base) soit le fruit du hasard (sa « p value ») est de 59% (!). Or, il est admis dans la communauté scientifique qu’une hypothèse ayant une p value supérieure à 5% devrait être rejetée. 

 

Si on creuse plus loin dans l’article, on y lit que les deux systèmes sont comparables au niveau des GES car le biologique utilise beaucoup de fumier et le conventionnel implique la production d’engrais chimiques. 

 

Par contre, l’ingénieur néglige totalement que la méta-analyse parle de « circonstances atténuantes » qui améliorent les effets environnementaux de l’agriculture biologique. En effet, dans les systèmes avec une bonne pluviométrie, des sols faiblement acides, comme on en retrouve au Québec, les différences observées entre le conventionnel et le biologique sont fortement réduites. Si on rajoute en plus l'impact de la polyculture, comme le fait notre célèbre jardinier-maraîcher, Jean-Martin Fortier, on réduit encore l’impact environnemental.  Ces informations se retrouvent dans la méta-analyse cité par Serge-Étienne Parent, mais pas dans son article. 

 

POUR ALLER PLUS LOIN

On peut aussi pousser l’agriculture biologique plus loin et se rendre à l’agriculture véganique qui se passe d’intrant d’origine animale - incluant le fumier, réduisant ainsi de beaucoup le potentiel d’eutrophisation des lacs et d’acidification des sols.

 

Concentrer la production
 

« Épargner le territoire de l’occupation agricole a un potentiel de biodiversité bien plus élevé que d’y cohabiter avec la nature, que ce soit par l’agriculture biologique ou la permaculture. » 

- Serge-Étienne Parent

 

Ici, l’auteur fait référence au débat entre le partage ou l’économie des terres (en anglais, land-sharing vs land-sparing) : ce débat a encore cours. L’étude citée (2) montre les points « pour » et « contre » l’économie de terre. En fait, si on veut épargner des terres de l’occupation agricole, il faut développer des politiques de protection du territoire où pour chaque gain de rendement par hectare, on reconvertit l’équivalent en milieu naturel.

 

Il y a aussi le paradoxe de Jevon à prendre en considération : ce paradoxe stipule que si un producteur agricole a de plus hauts rendements qui donnent de meilleurs gains économiques, son réflexe humain va être d’augmenter la superficie en culture. Toutes ces nuances se trouvent sur la page que M. Parent cite, mais elles sont absentes de son blogue.

 

Par ailleurs, dans l’étude suédoise (3) plus bas, M. Parent donne un exemple où il a été calculé que produire plus de tomates par hectare en Suède émettait plus de GES que d'importer des tomates d’un lieu éloigné à faible rendement : l’auteur s’en est servi pour affirmer que « le local n’est pas la panacée ». À partir de cette même affirmation, l'auteur aurait aussi pu dire que « concentrer la production n'est pas la panacée ».
Ces débats sur le biologique, l’intensité agricole et la proximité sont truffés de nuances qui ne peuvent être exprimées par un nombre restreint de critères comme le fait l’auteur.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Le débat entre l’économie et le partage de terre est basé sur la supposition qu’un gain de rendement agricole mène à une diminution de la biodiversité. Or, il existe des pratiques agricoles augmentant à la fois les rendements et la biodiversité (cultures de couverture, cultures intercalaires en larges bandes, agroforesterie, etc.).

 

Dépendance aux fertilisants synthétiques
 

« Les cultures biologiques dépendent largement des fertilisants synthétiques ayant préalablement été absorbés par des plantes, puis ayant transités par les systèmes digestifs des animaux. »

- Serge-Étienne Parent
 

À la lecture du blog de M. Parent , on pourrait croire que l'étude citée (4) est généralisée à l'ensemble des systèmes agricoles mondiaux, mais en fait, l’article cité compare seulement les nutriments importés dans des fermes françaises. Ces nutriments proviennent globalement du fumier de fermes (conventionnelles ou biologiques), de la fixation de l’azote atmosphérique ou encore du compost urbain. En lisant l’étude, on constate que plus du ⅔ des nutriments importés proviennent de fermes biologiques et de la fixation. Seulement le ⅓ des nutriments provient de fermes conventionnelles (fumier, paille, autre). Aussi, l’étude ne compare malheureusement pas la quantité de nutriment importée pour les fermes conventionnelles. Il est donc raisonnable de croire qu’une ferme biologique n’importe qu’une fraction des nutriments comparée à une ferme conventionnelle.

 

De plus, quand on sait que les cultures n’utilisent pas 100% de l’engrais fourni, que d’autres sources viennent combler ces besoins et que les nutriments servent aussi à des parties non comestibles des cultures… bref, le fumier conventionnel n’est pas que du « fertilisant synthétique ayant préalablement été absorbés par des plantes, puis ayant transités par les systèmes digestifs des animaux ». On repassera donc pour l’expression « dépendant largement des fertilisants synthétiques ».  

 

Aussi, il faut mentionner qu’il y a plusieurs intrants en agriculture et que plusieurs sont non renouvelables. Il y a bien sûr le pétrole pour les tracteurs, mais on parle aussi de la perte de nos sols cultivables dans les 60 prochaines années et de l’épuisement des gisements de phosphore prévu (au plus tôt) en 2040. Une agriculture intensive et mondialisée n’est pas la réponse au dépérissement de nos ressources non renouvelables. 

 

POUR ALLER PLUS LOIN

La philosophie derrière l’agriculture biologique est de gérer un écosystème fermé, le plus possible sans intrants, en préférant le recyclage des nutriments et la fixation biologique de l’azote. Certains boucliers se sont levés depuis la rédaction de l’article cité : en France, il y a un resserrement des règles pour l’importation de fumier dans les fermes biologiques. Il existe aussi le mouvement de l’agriculture véganique qui refuse tout intrant d’origine animale, incluant les fumiers.

 

L’impact du transport 
 

« Mais le transport des aliments de leur lieu de production à l’épicerie ne correspond qu’à 6 % des émissions du secteur agroalimentaire. »


- Serge-Étienne Parent
 

L’auteur affirme que seulement 6% des émissions de GES de la production de nourriture viennent du transport et donc que l’achat local ne compte que très peu dans la lutte aux changements climatiques (5). Il néglige que la même source d’où provient son 6% mentionne qu’il y a un 5% supplémentaire pour l’emballage, 4% pour la transformation et 3% pour la vente au détail. Lors de nos achats locaux, notre nourriture est généralement peu ou pas emballée, ni transformée et la chaîne de froid est beaucoup plus courte (réduisant l’énergie associée à la vente au détail). 

Au marché local, c’est donc près de 18% des émissions du secteur qui sont très fortement réduites.

 

Le site internet cité analyse aussi que le CO2 lié au transport varie énormément selon le fait que la nourriture ait été déplacée par bateau (faible impact) ou par avion (impact élevé). 

En regardant les données, on remarque aussi que la réfrigération (lors du transport) fait doubler l’impact du transport par bateau, camion ou train - sans toutefois se rendre au niveau de l’avion.

Si M. Parent avait vraiment voulu aider les citoyens à avoir une consommation plus responsable, il aurait amené ces nuances.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

On pourrait aussi argumenter que bien que le Québec ne soit pas le « champion » de l’environnement, nous évitons de cultiver dans des zones sensibles (ex : milieux humides ou bandes riveraines) et on ne peut pas augmenter la superficie en culture dans les bassins versants dégradés. La plupart des consommateurs - nous les premiers - ignorons si des règles environnementales aussi fortes existent dans les pays d’où proviennent nos aliments. L’achat local, comme le biologique, est une garantie que notre nourriture a été produite en suivant certaines règles. 

 

Réduire le gaspillage serait beaucoup plus important
 

« Le grave problème du gaspillage et des pertes alimentaires, adéquatement géré, remettrait sur les nappes les repas pour 400 millions de personnes. » (6)

- Serge-Étienne Parent

L’étude citée (5) affirme que 413 millions de personnes dans trois pays (soit la Chine, l’Inde, et les États-Unis - qui représentent un peu plus du tiers de la population mondiale) pourraient être nourries en évitant mieux le gaspillage domestique. Si on extrapole pour la population mondiale, nous arrivons donc à « remettre sur les nappes » des repas pour 1 000 millions de personnes en gérant mieux le gaspillage domestique. 

La même étude indique aussi qu’entre 30 et 50% de la nourriture est gaspillée tout le long de la chaîne de production - pas juste rendu chez le consommateur.  Imaginez à quel point on pourrait nourrir de personnes en réduisant aussi le gaspillage avant que la nourriture se rendre chez nous. Nous sommes d’accord sur les faits, mais une fois de plus, l’utilisation des sources par l’auteur est maladroite. 

 

POUR ALLER PLUS LOIN

La lutte au gaspillage peut se faire de plusieurs manières : l’amélioration des aptitudes des populations en cuisine pour mieux valoriser les restants, la réduction des normes esthétiques pour les aliments, etc. Le gaspillage alimentaire, dans les régions moins favorisées, est plus souvent dû à des problèmes d’entreposage. L’entreposage, signe d’une agriculture mondialisée.  

 

 

Au final, est-ce que l’agriculture locale et biologique est meilleure pour l’environnement? Avec les mêmes sources que celles citées par M. Parent, et contrairement à son verdict, on s’aperçoit que ET le biologique ET le conventionnel peuvent s’améliorer, que concentrer la production de nourriture n’est pas la panacée mais qu’une alimentation locale avec « ce qui pousse bien localement » offre des avantages environnementaux, et que résoudre les problèmes du gaspillage alimentaire peut en faire beaucoup pour l’environnement. 

Si l’on va plus loin que les seules sources de Serge-Etienne Parent, on se rend compte que l’alimentation locale est la seule sur laquelle nous avons un vrai pouvoir d’agir au niveau des règles environnementales, que l’épandage de pesticides n’est pas juste une émission de GES mais a aussi des effets néfastes sur la santé et l’environnement. 

Nous ne pouvons pas non plus continuer en agriculture conventionnelle éternellement : en épuisant nos ressources non renouvelable et en risquant notre santé par les pesticides. 

La recherche d’un système agricole idéal n’a pas de solution simple à proposer. Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle ne passe pas uniquement par l'ingénierie et l’intensification des cultures comme le fait croire M. Parent.