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C’est dans cet épisode que seront abordés les impacts des pesticides sur la santé humaine, notamment à travers les maladies causées et la sensibilité des personnes les plus à risque. Maryse Bouchard, nous parle de contamination humaine, d’évaluation des pesticides et de consensus scientifique.

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L'invitée

Maryse Bouchard est professeure agrégée à l’École de santé publique, Université de Montréal et chercheuse au Centre de recherche du Centre Hospitalier Universitaire Sainte-Justine. Elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les contaminants environnementaux et la santé des populations. Ses recherches portent notamment sur l’étude des effets et risques associés à l’exposition aux pesticides sur les sous-groupes vulnérables de la population. C’est dans cet épisode que seront abordés les impacts des pesticides sur la santé humaine, notamment à travers les maladies causées et la sensibilité des personnes les plus à risque. Maryse Bouchard, nous parle de contamination humaine, d’évaluation des pesticides et de consensus scientifique.

 

 

La
retranscription
 

 


Cette transcription n’est pas à l’abri de quelques fautes d’orthographe. Étant à l’origine audio, la lecture peut aussi s’avérer moins fluide. Nous avons fait le choix de transcrire la section « scientifique » de la discussion uniquement.
(Pour l’ensemble du contenu, nous vous invitons à écouter l’épisode au complet).

 

 

ÉMILIE -  [00:06:06] Dans le cadre de tes recherches, tu m'as dit que tu as travaillé sur l'impact des pesticides sur les femmes enceintes et les enfants, quels sont les impacts que tu as pu voir?

 

MARYSE BOUCHARD - Quand on parle des pesticides, c'est quand même difficile parce que c'est des centaines, même peut-être des milliers de molécules différentes qui peuvent donc avoir des effets différents. Moi j'ai étudié certaines classes de pesticides qui ont des propriétés toxicologiques qui se ressemblent. Je pourrais commencer par vous parler des travaux que j'ai faits sur les pesticides organophosphoriques, qui sont en fait des insecticides, et leur effet sur le neurodéveloppement. On sait que ces pesticides-là interfèrent avec le système nerveux central. En fait, c'est même comme ça qui tue les insectes, par neurotoxicité. Quand on s'est mis à utiliser largement ces pesticides-là, on pensait qu'il n'y aurait pas vraiment d'effet sur l'être humain. En réalité, on se rend compte maintenant qu'il y en a, parce qu'on a quand même des processus biologiques de base au niveau de nos neurotransmetteurs, qu’on partage notamment avec les insectes. Ces pesticides-là peuvent affecter l'acétylcholinestérase et sans entrer trop dans les détails toxicologiques, ce qu'on observe comme effet chez les enfants, surtout lorsque l'exposition a lieu pendant la vie foetale, c'est un moins bon neurodéveloppement. Ce qu'on fait dans ces études-là, c'est des études de cohortes où on étudie l'exposition de la femme enceinte. Et là, on suit l'enfant, on fait passer des tests à différents âges pour voir comment ils se développent. Ce qu'on a vu, c'est que les femmes qui étaient plus exposées pendant qu'elles étaient enceintes, déjà à la base, leurs bébés naissaient avec un plus petit poids à la naissance. Ça, ce n’est pas une bonne chose parce que les bébés qui naissent petits ont plus de risque de moins bien se développer. Ça, c'est d'une part. Donc, déjà à la naissance, il y avait des différences entre ceux qui avaient été plus exposés, moins exposés. Puis ensuite, quand on a continué à suivre le développement des enfants, par exemple pour mesurer leur capacité d'attention ou encore leur quotient intellectuel, on a vu que là aussi l'exposition prénatale était associée à de moins bons scores, un moins bon développement intellectuel.

 

ÉMILIE -  [00:08:32] Avec la quantité de pesticides qui sont présents sur le marché, est-ce qu'on connaît d'autres impacts qu'ils ont sur la santé humaine?

 

MARYSE BOUCHARD - Il y a beaucoup d'études pour l'instant qui pointent pour dire que l'exposition aux pesticides pourrait augmenter les risques de maladies de Parkinson, par exemple. D'autres études pointent sur des effets de perturbations endocriniennes qui pourraient toucher par exemple la fertilité, notamment des femmes, des hommes. Il y a même des études plus récentes qui ont regardé s'il pouvait y avoir une perturbation du microbiote. Le microbiote étant tous les micro-organismes qui peuplent notre corps, particulièrement notre tractus gastro-intestinal. En fait, la santé du microbiote ou d'équilibre de notre microbiote est hyper importante pour notre santé. On sait que les gens qui ont un microbiote perturbé, par exemple, vont avoir plus de problèmes métaboliques, plus de problèmes de poids et d'autres choses de ce type-là.

 

ÉMILIE - On entend souvent parler d'un lien entre pesticides et cancer, est-ce que c'est exact?

 

MARYSE BOUCHARD - Les effets potentiels cancérigène, c'est vraiment des choses qui inquiètent le plus les gens. Donc, je comprends que vous posiez la question et effectivement, il y a plusieurs études qui ont montré un lien entre l'exposition aux pesticides et le développement de différents types de cancers. On voit des risques plus élevés quand les expositions sont élevées et donc des fortes expositions, pendant des périodes prolongées, par exemple pour les personnes qui sont exposées en milieu de travail. Mais on a vu aussi des accroissements de cancers chez les enfants de travailleurs agricoles. Donc, c'est quelque chose qui est quand même inquiétant. Puis pour les types de cancers qui ont été associés, on a le cancer du cerveau, le cancer de la prostate, le cancer du rein aussi. Donc c'est définitivement une inquiétude, mais je vous dirais que le cancer, c'est quelque chose qui est difficile à étudier puis avoir des résultats hyper robustes, étant donné que c'est quand même, d'un point de vue épidémiologique, une maladie qui est rare. Si on veut vraiment bien étudier ces effets de santé là, il faut être capable de suivre les personnes sur une longue période de temps. Étant donné que déjà le cancer c'est quelque chose qui se développe sur des dizaines d'années, faire un suivi d'un grand nombre de personnes pour être capable d'avoir assez de cas, ça demande beaucoup de ressources. Donc, on n'a pas encore un niveau de certitude scientifique hyper élevé pour ça, mais il y a beaucoup d'inquiétudes, c'est certain.




 

Quelle est la place des pesticides dans l'ensemble de la crise environnementale? Nous les avons vus contaminer le sol, les eaux et les aliments, priver de poissons les rivières, d'oiseaux les jardins et les campagnes désormais silencieuses. L'Homme ne lui en déplaise, appartient lui aussi à la nature. Comment pourrait-il échapper à une pollution si complète du monde entier?
- Rachel Carson, Printemps silencieux

 

 

 

ÉMILIE -  [00:11:43] Dans son livre, Rachel Carson explique qu'il y a des contaminations aiguës et des contaminations par petite dose. Est-ce que tu peux m'en parler un peu plus?

 

MARYSE BOUCHARD - Quand on étudie les pesticides, effectivement, il y a différentes populations qu'on sait qui peuvent être à risque. Il y a des populations particulières, les agriculteurs, les familles d'agriculteurs ou alors les communautés qui vivent à l'entour des agriculteurs. Il y a pas mal d'études qui se sont attardées à ces populations-là qu'on soupçonne donc d’être spécialement exposées et à risque. Donc ça, ce serait les gens qu'on pourrait dire sont exposés peut-être à forte dose et en plus, possiblement de façon chronique. Mais après ça, on s'inquiète donc ça a été assez souvent étudié. Ce qui est peu étudié, c'est Monsieur et Madame tout le monde, la population générale, en réalité les études montrent qu'on a tous, chaque personne chez qui on mesure les résidus de pesticides, on va être capable dans 95 ou plus % des cas, de trouver des résidus de pesticides dans leur urine. Comment ça se fait? Bien, on pense qu'en réalité, il y en a dans tellement de denrées alimentaires, c'est la source principale d'exposition pour la population générale et il y en a dans tellement de choses qu'on mange. On sait que ces pesticides-là, quand on les ingère, ils sont excrétés très rapidement de notre corps en un jour ou deux, mais le fait qu'on en retrouve dans chaque échantillon qu'on voit, ça veut dire qu'on se recontamine probablement à chaque repas, on absorbe une petite dose de pesticides. Puis, quels sont les effets de ces petites doses chroniques là? Je vous dirais qu'il reste quand même beaucoup de travail à faire pour vraiment élucider tous les effets possibles qu'il peut y avoir sur notre santé.

 

ÉMILIE -  [00:13:32] Comment on fait pour savoir s'il y a des résidus de pesticides chez la population?

 

MARYSE BOUCHARD - Donc, ça va dépendre du type de pesticides, mais pour la plupart, la vaste majorité des pesticides sont excrétés dans l'urine. Donc, ça prend un simple échantillon urinaire pour être capable d'établir ces mesures-là. Je dis simple échantillon, ça c'est la partie simple, la partie compliquée après ça c'est au labo. Je travaille avec des chimistes qui vont faire des analyses puis qui vont être capables d'aller mesurer plusieurs différents pesticides ou des métabolites de pesticides. Car une fois qu'on ingère le pesticide, il va être des fois métabolisé dans notre corps puis on va aller mesurer ce métabolite-là qui nous indique à quoi on a été exposé. Pour certains pesticides, c'est dans le sang qu'on va les mesurer, mais ça c'est plus pour les pesticides de nature persistante et fort heureusement, on a banni la plupart de ces pesticides-là de nos jours. Les pesticides persistants, comme par exemple le DDT, ne sont plus utilisés à part dans certaines circonstances très précises, par exemple pour lutter contre la malaria. Mais même si on ne les utilise plus, il faut noter qu'on détecte encore chez à peu près le trois quarts du monde quand même des résidus de DDT dans leur sang, malgré que ça fait des dizaines d'années qu'on ne l'utilise plus.

 

ÉMILIE -  Combien de temps on met à voir les effets d'une contamination sur quelqu'un?

 

MARYSE BOUCHARD - Ça, c'est vraiment une bonne question. Encore une fois, les pesticides, c'est plein de choses différentes, plein d'effets différents. Ça va dépendre si la dose est élevée, ça va dépendre si la dose est faible. Donc, c'est vraiment dur à répondre comme question. On voit encore quand même chaque année des cas, par exemple, d'enfants qui sont intoxiqués au pesticide. Il y en a beaucoup moins qu'avant parce que maintenant on fait beaucoup plus attention. Les gens ont été très sensibilisés à ça. Donc des enfants par exemple qui par inadvertance absorberaient des pesticides, l'effet va être immédiat. L'enfant va se sentir très mal dans les minutes ou dans les heures qui vont suivre. Par contre, c'est souvent des symptômes très aspecifiques, comme des symptômes gastro-intestinaux. Mais donc, dose aiguë, effet immédiat. Mais après ça, il y a les effets vraiment plus chroniques. On sait maintenant qu'il y a vraiment un consensus là, que l'exposition aux pesticides peut augmenter le risque de maladie de Parkinson. Mais ça, on pense que c'est plutôt le résultat d'une exposition sur 5, 10 ans, peut-être plus même, mais en tout cas, une exposition qui s'échelonnerait sur plusieurs années avant de causer cette maladie de Parkinson.

 

 

ÉMILIE -  [00:16:28] Est-ce qu'il y a des personnes qui sont plus à risque, comme tantôt tu m'as parlé des enfants par exemple ou des femmes enceintes? 

 

MARYSE BOUCHARD - Les enfants c'est définitivement un groupe qu'on pense qui est beaucoup plus à risque. Déjà avant la naissance, comme je le disais, beaucoup de pesticides sont des neurotoxiques et ce qu'on sait c'est qu'ils sont capables de traverser la barrière placentaire. Alors le fœtus va être exposé et pendant le développement, surtout celui du cerveau, c'est hyper complexe tous les processus qui sont mis en place pour que le cerveau se développe adéquatement. Dans le fond, le cerveau, c'est l'organe de loin le plus complexe du corps humain. Donc, il y a toute une chorégraphie de développement cellulaire, de neurones qui vont se différencier en différents sous-types de neurones, qui vont venir se placer à certains endroits, former des structures précises. Et on sait que cette chorégraphie complexe qui se passe aussi de façon très rapide est vulnérable à être perturbée par l'exposition neurotoxique. Donc le fœtus, pour ces raisons-là, est vraiment très, très vulnérable. Puis le développement du cerveau, ça continue après ça pendant l'enfance. Donc, l'enfant continue d'être vulnérable. Donc, pour une petite dose d'exposition qui n'aurait pas eu d'effet chez un adulte, il va avoir un effet dépendamment du timing, donc le moment que l'exposition a lieu, si l'exposition a lieu pendant le développement. L'autre chose aussi à dire, c'est que les enfants, une fois qu'ils sont petits, un an, deux ans, trois ans, ils ont tendance à être plus exposés aussi que les adultes. Si on veut justement mesurer la concentration dans leur urine, comme j'expliquais, qui est la méthode qu'on favorise pour aller évaluer la dose d'exposition chez les gens, on voit toujours qu'ils ont des concentrations urinaires supérieures parce qu'ils mangent plus, boivent plus par unité de poids corporel. Ils sont en croissance, donc ils ont besoin de plus, de s'alimenter davantage. Puis en plus, ils mettent tout à leur bouche, ils rampent à terre. Puis c'est là que les pesticides ont tendance à se retrouver par exemple dans les poussières de nos maisons ou au sol. Donc pour toutes ces raisons-là, les enfants sont vraiment un groupe à risque.

 

 

ÉMILIE -  [00:18:39] Puis par rapport aux personnes plus à risque, j'imagine que les agriculteurs, eux, sont vraiment à l'avant-plan des contaminations. Tu parlais des contaminations chroniques. Qu'est-ce qu'on leur recommande pour qu'ils se protègent de l'exposition de ces pesticides ?

 

MARYSE BOUCHARD - Il y a une emphase assez importante qui est mise sur l'utilisation d'équipements de protection individuelle qui n'est à mon avis pas une bonne idée. On sait que le port de ces équipements-là, ce n’est pas réaliste dans les conditions réelles. Imaginez être dans un champ en pleine exposition au soleil à 30-35 degrés et devoir porter une combinaison imperméable qui couvre tout le corps, des gants, des bottes en caoutchouc, un masque, des lunettes. Ce n'est vraiment pas humain de demander aux gens de porter ça, sans compter le fait que certains pesticides vont carrément passer au travers de ces tissus qui sont pourtant supposés être imperméables, mais il y a des pesticides qui sont capables de, chimiquement, de passer à travers. Il n'y a rien d'autre qui passe à travers que les pesticides, c'est vraiment des produits qui ont des propriétés particulières et en plus les travailleurs peuvent se contaminer en enlevant leurs équipements de protection individuelle. Donc cette emphase qui est mise n’est probablement pas très efficace et ce qu'il faudra faire évidemment c'est substituer ces molécules toxiques par d'autres, soit ne plus utiliser ces produits-là ou alors changer pour des molécules qui ont un bien moins grand pouvoir toxique.

 

 

ÉMILIE -  [00:20:25] Quand tu parles du transfert des pesticides même à travers l'équipement de protection, moi je pense quand je vais à l'épicerie et que je ne peux pas acheter forcément de produits biologiques, j'enlève la peau de mes légumes ou de mes fruits en me disant « peut-être que comme ce n'est pas bio, ça va être mieux pour ma santé. » Est-ce que ça vaut la peine que je fasse ça ou alors ça passe à travers dans tous les cas?

 

MARYSE BOUCHARD - Non ça ne passe pas à travers dans tous les cas, ça vaut vraiment la peine effectivement de très bien laver ces fruits et légumes, mais il faut le faire, il faut laver à grand dos, il faut frotter aussi un petit peu, même pour certains types de pesticides comme ceux utilisés sur les pommes, on sait qu'utiliser un petit peu de bicarbonate de soude, ça va aider aussi à se débarrasser de la contamination. Pour la plupart des pesticides, la majorité va être en surface. Alors, ça vaut le coup de laver ses fruits et légumes, puis quand on les pèle aussi on en enlève une partie.

 

 

ÉMILIE -  [00:21:16] J'imagine que les agriculteurs qui utilisent des protections pas si efficaces quand ils épandent les pesticides, doivent beaucoup tomber malades. Est-ce que ces maladies sont reconnues au Québec? 

 

MARYSE BOUCHARD - En effet il y a des agriculteurs malheureusement qui tombent malades et tantôt je parlais des équipements de protection individuelle qui ne sont pas très efficaces, mais en réalité il y a aussi beaucoup de travailleurs qui n'en portent pas justement parce qu'ils sont trop durs à porter ou alors l'employeur n'en fournit pas. Donc parmi les maladies qui sont reconnues suite à une exposition professionnelle aux pesticides, récemment au Québec on a eu la maladie de Parkinson, que si la personne qui est diagnostiquée avec un Parkinson peut démontrer qu'il ou elle a utilisé des pesticides pendant plusieurs années, sa maladie peut être connue comme étant une maladie professionnelle et la personne va être indemnisée. Il y a aussi récemment eu un cas de travailleur qui a vu son cancer, un lymphome non hodgkinien, reconnu : ça avait été causé par le fait qu'il y avait manipulé énormément de pesticides. Donc, ça c'est deux maladies qui peuvent être reconnues. Ensuite, si des travailleurs sont intoxiqués, par exemple des intoxications aiguës avec des pesticides organophosphorés, ça peut aussi être reconnu comme des intoxications liées à leur travail.

 

ÉMILIE -  Si on tombe malade, est-ce qu'on peut porter plainte?

 

MARYSE BOUCHARD - Oui, lorsqu'on est une personne qui est employée, un employé agricole ou quelqu'un qui est employé par exemple par une compagnie qui traite les maisons infestées, on peut se tourner vers la CSST pour demander une indemnisation. Par contre, par exemple au Québec, le trois quarts des travailleurs agricoles ne sont pas des employés, c'est leur propre ferme et eux, ils ne peuvent pas demander une indemnisation à la CSST à tout le moins. Donc un autre avenir aussi qui peut s'offrir à quelqu'un qui est malade, qui veut que ce soit reconnu, ça serait de poursuivre les compagnies, les manufacturiers, les distributeurs de pesticides et on voit d'ailleurs en ce moment, au cours des dernières années, une multiplication des recours collectifs contre les compagnies qui produisent des pesticides. Puis, il y en a beaucoup qui sont réglés. Les compagnies, par exemple, Bayer, a mis de côté des milliards de dollars pour indemniser des gens qui ont été intoxiqués par les pesticides. Donc, c'est quand même quelque chose qui se passe à une échelle importante en ce moment.

 

 

ÉMILIE -  [00:24:17] C'est quoi les sources de contamination principales dont sont victimes ces gens?

 

MARYSE BOUCHARD - Les gens peuvent être exposés de différentes façons de pesticides, dépendamment des contextes d'exposition. On sait que les travailleurs peuvent être exposés par inhalation : les pesticides sont surtout épandus et pulvérisés, alors il y a une fraction qui va se retrouver dans l'air, qui peut être inhalée. Il y a une grande partie de l'exposition qu'on sait maintenant qui se fait par voie cutanée, donc le contact avec la peau ou même à travers comme je le disais les équipements de protection individuelle. Il y a finalement par l'ingestion aussi, on ne se rend pas compte mais il paraît qu'on touche notre visage des centaines de fois dans une journée. Donc il y a aussi une ingestion qui va se faire à chaque fois qu'on va porter la main à la bouche. Donc ce que je viens de dire pour les travailleurs, ça s'applique aussi au reste de la population dans une certaine mesure. Mais pour la population générale, la voie d'exposition principale, on pense que c'est vraiment l'ingestion, donc à travers la diète, de fruits et légumes, qui sont surtout les produits contaminés et qui vont donc contenir des résidus de pesticides qui ont été épandus soit durant la culture ou pour la préservation de ces produits-là après la récolte.

 

ÉMILIE - Est-ce qu'il y a des fruits et légumes qui contiennent plus de pesticides que d'autres?

 

MARYSE BOUCHARD - Oui, donc c'est quand même assez bien connu. On a des données là-dessus parce que chaque année, il y a des organismes qui font cette vérification-là. Donc, on sait que c'est pas mal souvent les mêmes fruits et légumes qui reviennent au-dessus de la liste des plus contaminés. Ce qu'on retrouve fréquemment c'est les fraises, les pommes, les cerises, les épinards, les raisins. Donc peut-être que pour ces produits-là dont on sait être particulièrement contaminés, ça peut valoir la peine et si on peut se le permettre, de les acheter bio. Mais une autre façon qu'on peut réduire notre exposition aussi, qui ne coûte pas cher, c'est de favoriser dans notre alimentation les produits qu'on sait qui contiennent peu de pesticides. Comme par exemple, on sait que le chou, le maïs, les asperges, le melon, puis plein d'autres aussi, fruits et légumes qu'on pèle, les ananas par exemple, dans la partie qu'on va manger, il y a très très peu de pesticides.

 

 

ÉMILIE -  [00:26:48] J'imagine qu'il n'y a pas juste aussi au niveau agricole qu'il peut y avoir des contaminations. Par exemple, les municipalités, j'imagine qu'il y a des terrains aussi qui doivent être traités?

 

MARYSE BOUCHARD - Oui, c'est vrai. Bon, même si en tout cas au Québec je pense qu'on a été à l'avant-garde de bannir beaucoup l'utilisation de pesticides à tout le moins pour des fins qu'on dit esthétiques, mais ceci dit il y a encore des pesticides qui sont utilisés pour différents usages. Quelque chose aussi que je n'ai pas mentionné, c'est que les pesticides peuvent parfois s'infiltrer et venir contaminer également l'eau, qui va ensuite être utilisée pour la consommation humaine. En réalité, les pesticides, on les retrouve vraiment un peu partout.

 

ÉMILIE -  Est-ce que ça veut dire que toutes les municipalités au Québec ont interdit l'utilisation esthétique des pesticides? 

 

MARYSE BOUCHARD - Non, malheureusement, ce n'est vraiment pas le cas. Il y a certaines municipalités qui l'ont fait, qui ont été des précurseurs, mais il reste encore beaucoup d'endroits où on a cette pratique-là d'utiliser des pesticides, même si c'est juste pour des mauvaises herbes qu'on pense ne sont pas belles à voir. Donc, il reste pas mal de travail à faire pour ça.

 

 

ÉMILIE -  [00:28:09] Comment sont évalués les pesticides au Canada?

 

MARYSE BOUCHARD - C'est un processus qui relève du gouvernement fédéral. On a une agence réglementaire qui s'occupe de ça. Ce qu'on sait, c'est que la première des choses, ils utilisent presque uniquement des données qui sont fournies par l'industrie des pesticides. Donc la façon dont ça fonctionne, la plupart du temps, l'industrie des pesticides vont sponsoriser la tenue de tests toxicologiques. Donc on va évaluer un panel d'effets, par exemple des effets neurotoxiques, les effets sur le foie, sur la reproduction, etc. Mais c'est un panel limité. On ne regarde pas tous les effets possibles. Tantôt, je mentionnais les effets, par exemple, sur le microbiote. Ça ne fait pas partie du panel habituel de tests qui sont faits. Donc, ces études-là aussi sont faites, évidemment, sur des modèles animaux. Ce qui a aussi des limites, parce que nous, ce qui nous intéresse, c'est protéger la santé humaine. Les tests aussi sont faits d'habitude pesticide par pesticide. Une autre différence avec la réalité dans laquelle nous vivons. C'est que nous sommes exposés à plusieurs pesticides en même temps, puis les interactions, le fameux effet cocktail dont on parle souvent, ça c'est pas évalué par les tests. Ce qu'on voit c'est qu'il y a quand même certaines lacunes au niveau de la façon dont les tests sont menés. Puis aussi au niveau de l'évaluation, on pourrait dire au niveau administratif, ce qu'on voit c'est que les tests, les droits d'utiliser, c'est-à-dire les pesticides qu'on appelle homologation, c'est fait à peu près à chaque 15 années. Donc les études plus récentes, quand il sort une étude qui montrerait par exemple que tel pesticide aurait un effet très très toxique, ça ne va pas être tenu en compte immédiatement. Ça se pourrait que ça prenne des années et des années avant que l'organisme réglementaire tienne compte de ces nouvelles données-là. Donc, c'est aussi une limite importante qui fait qu'au final, on peut se questionner sur la façon dont ces normes-là et ces tests-là protègent vraiment la santé publique.

 

ÉMILIE - Est-ce que c'est, dans le fond, c’est le produit qu'on achète qui est évalué?

 

MARYSE BOUCHARD - Ça, c'est un autre bon point parce qu'en réalité, dans les tests toxicologiques, c'est vraiment juste la molécule active qui va être évaluée du point de vue toxicologique. Or, on sait que dans le mélange de pesticide qui est vraiment vendu, il y a l'ingrédient actif puis il y a souvent d'autres ingrédients qui font partie du mélange, par exemple des adjuvants. On sait que dans le Roundup, il y a du glyphosate, mais il y a aussi des produits adjuvants qui vont aider à faire que le glyphosate va pénétrer à travers les tissus des plantes. Et donc, ce que certaines études ont montré, des études indépendantes où on a vraiment analysé l'effet combiné de l'adjuvant et du glyphosate, on voyait qu'il y avait des effets toxiques qui étaient beaucoup plus prononcés que si on avait juste testé le glyphosate. Donc dans ce sens-là, les tests toxicologiques qui sont faits par l'industrie ne donnent pas le portrait complet de tous les risques.

 

ÉMILIE -  [00:31:22] Est-ce que les gouvernements font le choix de se baser sur des études indépendantes pour faire leur évaluation?

 

MARYSE BOUCHARD - Non. La plupart du temps, les évaluations sont vraiment basées sur des études sponsorisées par l'industrie. Il y a une chose qui fait du sens là-dedans, c'est que oui, ça coûte cher faire les études et c'est l'industrie qui devrait payer, mais l'industrie devrait, je pense, confier les fonds à un organisme qui serait complètement indépendant et que là les tests seraient faits en suite de ça. En ce moment, l'industrie est trop proche des firmes de toxicologie qui font les tests pour eux et je pense que ça fait diminuer la confiance qu'on peut avoir dans les résultats de ces tests. Donc, il devrait y avoir beaucoup plus d'argent qui provient des organismes de financement pour aller aider les chercheurs qui veulent faire des travaux sur les pesticides. Je vous ai dit que j'ai fait quelques travaux sur les pesticides, mais ces travaux-là ont en majorité été financés quand j'étais aux États-Unis, là-bas il y a vraiment un programme de recherche qui finance les chercheurs indépendants qui peuvent faire des travaux. Puis au Canada, ce n'est pas du tout une priorité de recherche. Ça, c'est quelque chose que je déplore vraiment. Donc, il reste beaucoup de choses à faire. Le gouvernement pourrait aider à ce qu'il y ait des meilleures données, plus fiables justement, qui viennent de chercheurs indépendants pour qu'on soit capable d'estimer les risques puis de mieux protéger la santé du public.

 

 

ÉMILIE -  [00:33:04] Comment peut-on faire pour protéger davantage cette santé du public?

 

MARYSE BOUCHARD - Je pense que la chose à faire a priori c'est réduire l'exposition. Les pesticides sont les seules molécules qu'on sait être toxiques, qu'on épand volontairement dans l'environnement. Donc déjà, a priori, il y a lieu d'être inquiet. On retrouve ces pesticides-là, comme je le disais, dans à peu près 95% des gens qu'on irait échantillonner. C'est donc dire que l'exposition est ubiquitaire. On ne peut pas échapper à cette exposition-là. Tant qu'à moi, c'est un problème. On devrait donc diminuer l'utilisation de ces molécules-là et il y a toutes sortes de solutions qui existent pour y arriver.

 

ÉMILIE - Est-ce que tu penses qu'on est sur la bonne voie?

 

MARYSE BOUCHARD - Je pense qu'il y a une grande conscientisation. Moi je vois vraiment une différence ces dernières années. Le public est beaucoup plus conscientisé, plus inquiet face à l'utilisation des pesticides et je pense que ça part de là. Tantôt je parlais du rôle du gouvernement mais c'est les citoyens, c'est nous qui avons le pouvoir d'orienter les actions du gouvernement. Donc oui moi je pense qu'on est sur la bonne voie grâce à la meilleure conscientisation de monsieur et madame Tout-le-Monde sur ce sujet-là.

 

 

Passez à l'action! Consultez l'ensemble des revendications de Vigilance OGM sur les pesticides, signez le manifeste, et participez aux futurs appels à l’action.

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Les références

Les études et rapports

  • Les études de Maryse Bouchard (Lien)
  • Prenatal Exposure to Organophosphate Pesticides and IQ in 7-Year-Old Children, Maryse F. Bouchard, Jonathan Chevrier, Kim G. Harley, Katherine Kogut, Michelle Vedar, Norma Calderon, Celina Trujillo, Caroline Johnson, Asa Bradman, Dana Boyd Barr, and Brenda Eskenazi, august 2011 (Lien)

  • Parkinson's disease and occupational exposures: a systematic literature review and meta-analyses, Lars-Gunnar Gunnarsson, Lennart Bodin, may 2017 (Lien)

  • Les effets sur le microbiotes : Gut microbiota: An underestimated and unintended recipient for pesticide-induced toxicity, Xianling Yuan, Zihong Pan, Cuiyuan Jin, Yinhua Ni, Zhengwei Fu, Yuanxiang Jin, July 2019 (Lien)


     

Autres liens

  • Société canadienne du cancer, Les pesticides (Lien)

  • Pesticides : la grande illusion des équipements de protection des agriculteurs, Le Monde, Stéphane Horel, 16 février 2022 (Lien)

  • Les produits les plus contaminés, Shopper’s Guide to Pesticides in Produce (Lien)

  • Les produits les moins contaminés, Shopper’s Guide to Pesticides in Produce (Lien)