FAILLES DANS L'ÉVALUTION
Lors du processus d’homologation des pesticides, des études toxicologiques et écotoxicologiques doivent être présentées par les compagnies désirant mettre sur le marché canadien leurs formulations commerciales afin d’en évaluer les impacts sur la santé et l’environnement selon les exigences des organismes d’évaluation.
Plusieurs failles dans ce processus sont décriées depuis de nombreuses années. Nous vous les présentons ci-dessous.
Pas d’évaluation de la formule commerciale (!)
Le processus d’homologation étudie le principe actif d’un pesticide (donc un seul ingrédient) et non sa formule commerciale — réellement épandue dans les champs.
D’un point de vue scientifique, cette façon de faire est très discutable, comme le souligne le Comité d’experts sur les tests intégrés pour les pesticides (3). La prise en compte du principe actif seul lors des tests toxicologiques est une lacune du processus d’homologation, (3) car aucun individu n’est exposé au principe actif seul. Plusieurs recherches (4) ont démontré que la formulation commerciale d’un pesticide peut avoir des effets plus néfastes que l’ingrédient dit actif. L’une de ces études (5) a été menée sur les 9 pesticides les plus vendus au monde, et montre entre autres que le Roundup, l’un des herbicides produits à base de glyphosate, est 1000 fois plus toxique que le glyphosate seul.
« L'usage des pesticides est maintenant tellement répandu dans notre société que nous avons tendance à oublier que ces produits sont d'abord élaborés pour détruire et contrôler des organismes jugés indésirables ou nuisibles. Lorsque l'on applique des pesticides, l'environnement peut être contaminé par ces substances, que ce soit l’eau, l’air ou le sol. Ils peuvent avoir des effets nocifs sur les organismes non visés, y compris l'être humain. C'est pourquoi de nombreux pays ont légiféré afin de contrôler la vente et l'usage de ces produits.» - MDDELCC (6)
Voir l'émission LA SEMAINE VERTE
À cela s’ajoute « l’effet cocktail » : en chimie, un mélange de substances peut amener des interactions entre elles, des effets synergiques issus du mélange des substances. Ces effets font partie des préoccupations grandissantes des scientifiques et du public.
Dans les champs, les agriculteurs n’appliquent pas du glyphosate, mais du Roundup - une formulation avec plusieurs composés dont l’ARLA ignore comment ils interagissent entre eux. On applique aussi rarement un seul pesticide.
Voir notre capsule humoristique LES COCKTAILS DE PIERRE P. ET P.PÉTELLE
Des études financées par l’industrie (!)
Il incombe à l’industrie de démontrer que son produit est « sécuritaire ». Elle doit donc réaliser différents tests pour en évaluer les risques sur la santé et l’environnement. Cependant, nous ne pouvons pas faire confiance à des compagnies qui cherchent à maximiser leurs profits pour protéger le public. Nous devons apprendre des histoires précédentes comme celles de la cigarette et de l’amiante. D’ailleurs, dans le cas des pesticides, l’histoire nous a déjà démontré que nous ne pouvions leur faire confiance, notamment dans les Monsanto Papers. Ces documents internes de la compagnie Monsanto, qui ont été dévoilés sur la place publique, ont démontré que l’entreprise (rachetée par Bayer) connaissait depuis longtemps les risques sanitaires associés au Roundup et qu’elle ne les avait jamais mentionnés.
Il est donc inquiétant de savoir qu’aujourd’hui encore le système d’homologation des pesticides repose majoritairement sur les études financées par l’industrie. En laissant le soin aux industries de mener leurs propres études, nous leur laissons la possibilité de biaiser les expériences ou encore d’influencer le protocole expérimental. Des études démontrent d’ailleurs comment les études financées par les industriels diffèrent de celles qui sont indépendantes : c’est un cas de conflits d’intérêts. On peut constater les conséquences de l’usage massif des études issues de l’industrie dans la classification du glyphosate comme cancérigène ou non en étudiant la différence entre l’analyse faite par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui classe le glyphosate comme « cancérogène probable » depuis 2015 et celles des agences réglementaires — comme l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada (ARLA), l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en Europe, ou l’Environmental Protection Agency (EPA) aux États-Unis — qui ne considèrent pas le glyphosate comme un cancérogène. Pour en savoir plus, consultez notre blogue sur cette comparaison qui nous en apprend beaucoup.
Des études classées comme secret industriel (!)
La différence entre avoir la foi et un processus scientifique réside dans le fait que lors d’un processus scientifique, une autre personne peut analyser les données, mener les mêmes expériences selon les mêmes protocoles et valider les conclusions. Avoir la foi, c’est faire confiance à une autorité supérieure.
Actuellement, le processus d’homologation des pesticides - très opaque - révèle plus du domaine de la foi : on nous assure que les études nécessaires ont été réalisées et qu’elles sont parvenues à des résultats satisfaisants.
Considérant que l’ARLA se vante d’avoir un processus scientifique, il est primordial de favoriser le partage des données et la révision par les pairs : c’est la base de tout processus scientifique.
Cette revendication n’a rien de révolutionnaire. En 2014, Santé Canada (le ministère qui supervise l’ARLA) a entériné la « Loi de Vanessa » (Loi modifiant la loi sur les aliments et la drogue) faisant en sorte que tous les documents ayant servi à l’évaluation de nouveaux médicaments tombent dans le domaine public et que ceux ayant servi à l’homologation de médicaments avant le passage de cette loi soient rendus accessibles grâce à une demande d’information.
Ce même changement pour le cas des pesticides permettrait à tous les scientifiques d'avoir accès aux informations et de suggérer plus aisément des ajustements pour une utilisation judicieuse de ces produits chimiques.