bilan des pesticides - réactions

BILAN DES PESTICIDES

Y'a-t-il vraiment une baisse de la vente des pesticides ?

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bilan pesticides vente

À Vigilance OGM, nous nous intéressons beaucoup aux pesticides, car 88% des OGM sont fait pour tolérer au moins un pesticide (1) et la tendance est à en faire tolérer plusieurs. Fin avril, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) a publié le Bilan de vente des pesticides au Québec - 2018 : un rapport publié à chaque année pour faire état de la vente des pesticides au Québec. Selon ce rapport, l’année 2018 aurait été marquée par une baisse considérable de l’utilisation des pesticides, principalement du glyphosate. 

Cependant, nous sommes loin de crier victoire.
Le rapport mentionne en effet qu’aucun signe sur le terrain ne laisse supposer cette baisse d’utilisation. Parmi les signes observables que nous suivons attentivement, la superficie cultivée en OGM (fait pour tolérer aux pesticides) qui, elle, continue d’augmenter.
Elle aurait atteint environ 616 000 ha en 2018 (2).

Chez Vigilance OGM, nous sommes toujours heureux de constater une baisse de l'utilisation des pesticides afin de limiter leurs impacts sur notre santé (particulièrement celle des agriculteurs) et notre environnement. Cependant, après des années d'augmentation, il faut prendre ce bilan sur une seule année avec des pincettes.
Vigilance OGM a ainsi mené l’enquête et formulé une série d'hypothèses qui nous empêche - malheureusement - de nous réjouir trop rapidement.

 

NOS HYPOTHÈSES SUR LA BAISSE DU GLYPHOSATE


PAS D'INFORMATION SUR LA CAPACITÉ D'ENTREPOSAGE

Pour le glyphosate, les analystes du ministère comptabilisent les chiffres fournis par les grossistes comme Bayer et Syngenta. Ils ne s’attardent pas à chaque détaillant et encore moins au registre des pesticides des producteurs. Le rapport ne prend donc pas en compte le volume de pesticides vendu par les détaillants, comme les COOP locales (e.g. Novago, Vivago, COOP des Montérégiennes) ou la meunerie, qui ont pourtant une capacité d’entreposage considérable.
À regarder trop haut dans la chaîne d’approvisionnement, on manque de finesse pour bien comprendre la réalité du terrain.

 

PAS DE COMPTABILISATION DE LA VENTE EN LIGNE

Il est aussi possible de commander des pesticides en ligne. En effet, on trouve des formats de 10L de pesticides concentrés (tels que vendus aux agriculteurs) sur Amazon et Ebay. Il y a surement d’autres plateformes qui ont des prix similaires à ce que peuvent payer les agriculteurs.
Il est d’ailleurs surprenant de constater que la vente en ligne de matières dangereuses soit permise, surtout à des particuliers.

 

PAS DE PRISE EN COMPTE DE LA VENTE ENTRE LES PROVINCES

Nous savons toutefois, suite à une discussion avec le MELCC, qu’un des grossistes a manqué de glyphosate en 2018. La logique veut que si un fournisseur québécois vient à manquer de glyphosate et qu’aucun signe sur le terrain ne démontre une diminution marqué de l’utilisation ce produit, on s’approvisionne hors du Québec. Or, il n’existe aucune régulation des mouvements interprovinciaux des produits tel que le glyphosate.

C’est pour cette raison, qu’à l’été 2019, nous avons recommandé à la Commission de l'agriculture, des pêcheries, de l'énergie et des ressources naturelles (CAPERN), que soit publié annuellement le portrait complet des pesticides vendus (par agent actif et par formules commerciales, en fonction du type de cultures et des zones géographiques). Un point important pour atteindre une finesse de compréhension nécessaire au suivi de notre utilisation des pesticides et pour pouvoir trouver des solutions adaptées aux réalités régionales.

 

LE CAS DE L’ATRAZINE


Un autre point intéressant du Bilan de vente des pesticides au Québec est la réduction de l’atrazine. Une réduction que l’on peut directement reliée à la décision du 8 mars 2018 de rendre obligatoire une prescription agronomique pour l’utiliser. 

Il y a beaucoup de polémique entourant l’atrazine.
D’abord, il s’agit de l’un des 46 pesticides interdits en Europe depuis 2004, mais encore permis au Canada.

Ensuite, son efficacité est contestée : une étude du MAPAQ démontre qu’il y a moins de 6% des cas où l’ajout d’atrazine au mélange de pesticides améliore le désherbage. Malgré la baisse de 58% de son utilisation depuis 2017, on pourrait espérer un recul encore plus marqué : d’au moins 94% si ce pesticide n’est utile que dans 6% des cas.

Puisque l’achat d’atrazine nécessite aujourd’hui une justification agronomique, le rapport a sondé les détaillants pour connaître l’utilisation réelle du produit. En comparaison avec 2017, il y a bien une baisse importante de son utilisation (attention, nous ne sommes qu’à la première année de prise de données détaillées). Le rapport a toutefois regardé plus loin en observant l’évolution de la vente des produits de remplacement potentiel à l’atrazine. Leurs augmentations ne comblent pas la différence.

L’atrazine a aussi un passé trouble. Elle a un fort impact résiduel : les applications du pesticide influençaient le choix des futures cultures sur plus d’une année. Depuis, les doses ont été revues à la baisse (une pratique courante dans le domaine des pesticides - qui n’est pas pour nous rassurer) et surtout de plus en plus de mauvaises herbes ont acquis une résistance à ce pesticide (3). 

En constatant la baisse importante de l’atrazine, nous réalisons que le système de justification et de prescription agronomique est utile. Nous recommandons donc au gouvernement d’élargir progressivement le nombre de pesticides nécessitant une prescription agronomique aux 10 pesticides ayant le plus d’impact sur les indices de risques pour la santé et pour l’environnement. Avec les recoupements des ingrédients actifs présents dans ces pesticides, la liste des principes actifs s’élargit à 18 (4).

 

DES PESTICIDES MANQUANT


LE CAS SPÉCIFIQUE DES NÉONICOTINOÏDES

En septembre 2018, la réglementation a commencé à exiger des justifications agronomiques pour l’usage de certaines semences enrobées à plusieurs néonicotinoïdes (mais pas la totalité malheureusement). Ces insecticides, reconnus comme les « tueurs d’abeilles » et ayant une longue persistance dans le sol ont été vendus pour plus de 2000 tonnes de semences à l’automne 2018. Pour l’instant, nous ignorons la superficie qui a été ensemencée en 2019. L’usage de ces produits va dans la même ligne de pensée que le modèle agricole dominant : leur usage est rarement pertinent (5), leur impact environnemental est grand, mais les coûts sont bas. Il s’agit donc d’une garantie à faible prix puisque l’agriculture conventionnelle externalise les coûts environnementaux.

L’arrivée des néonicotinoïdes enrobant les semences révèle aussi un autre point faible du bilan : c’est la première année que des pesticides enrobant les semences sont comptabilisés. Ce qui indique que cette donnée était manquante dans les bilans précédents ET que les autres pesticides enrobant ne sont toujours pas comptabilisés. Pourtant, l’industrie a été rapide à trouver un produit de remplacement aux néonicotinoïdes : le chlorantraniliprole (6). Lui, n’est donc pas comptabilisé et est tout aussi inutile que les néonics : les bonnes pratiques agronomiques comme la gestion intégrée des ennemis des cultures devraient toujours primer. 

 

AUTRES PESTICIDES MANQUANTS

Il ne faut pas oublier que les OGM ne sont pas fait uniquement pour tolérer des herbicides mais aussi, dans certains cas, pour produire eux-même des pesticides. Les maïs BT qui produisent une toxine du bacillus thuringiensis ne sont pas considérés dans le bilan. Une étude de Benbrook, en 2012, révèle que certains de ces OGM produisent jusqu’à 19 fois la dose de BT qui serait appliquée (7).

 

Nous avons hâte aux prochains bilans pour voir s’il y a vraiment une forte tendance à la réduction des pesticides ou si 2018 était juste une anomalie. Et bien qu’en 2018 nous aurions potentiellement atteint pour la première fois une des cibles de la stratégie phytosanitaire 2011-2021 (réduction de 25% de l’indice de risque pour la santé par rapport au niveau de 2006-2008), il ne faut pas oublier la première stratégie nationale qui vise une réduction de 50% de la quantité des pesticides par rapport au niveau de 1992. Nous sommes théoriquement rendu à 13%.

En conclusion, ce bilan des pesticides démontre davantage que la méthodologie du bilan est imparfaite et ne permet pas de refléter correctement la réalité. On voit aussi les faiblesses de travailler molécules par molécules plutôt que de travailler sur un plan global de réduction de l’utilisation des pesticides avec la mise en oeuvre de moyens alternatifs pour compenser ces réductions.

agricultrice au champ

UN MERCI SPÉCIAL AUX AGRICULTEURS ET AUX AGRICULTRICES

Même si nous ne pouvons pas réellement dire s’il y a une baisse de l’usage des pesticides, nous tenons tout de même à féliciter tous les producteurs qui prennent le temps de mettre en place des méthodes de luttes intégrées et qui s’efforcent de réduire leur impact sur l’environnement (ou même d’avoir un impact positif sur l’environnement). C’est grâce à leur ingéniosité et leur passion pour leur travail que le Québec peut réellement avancer dans le dossier des pesticides.

Crédit photo : Zoé Schaeffer
(1) James, C. (2019). Global Status of Commercialized Biotech/GM Crops: 2018, ISAAA brief No. 54. International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications (ISAAA): Ithaca, NY
(2) Institut de la statistique du Québec et Statistique Canada, 2020, Superficie des grandes cultures, rendement à l'hectare et production, par regroupement de régions administratives, Québec, 2007-2019 (lien vers le document)
(3) Liste des mauvaises herbes qui ont développé une résistance à l'atrazine : amaranthe à racine rouge, amaranthe de Powell, amaranthe tuberculée, chénopode blanc, moutarde des oiseaux, petite herbe à poux
(4) Liste des principes actifs à soumettre à une prescription agronomique : azoxystrobine, bromoxynil, chlorothalonil, chlorpyrifos, diquat, fluazinam, fomésafène, glyphosate, imazéthaphyr, lambda-cyhalothrine, linuron, mancozèbe, mésotrione, métribuzine, propiconazole, s-métalochlore, topramezone
(5) Labrie, G., Gagnon, A. È., Vanasse, A., Latraverse, A., & Tremblay, G. (2020). Impacts of neonicotinoid seed treatments on soil-dwelling pest populations and agronomic parameters in corn and soybean in Quebec (Canada). Plos one, 15(2), e0229136
(6) Bégin, G, 2019, Les pesticides « tueurs d’abeilles » ont de la relève , Radio-Canada
(7) Benbrook, C.M. Impacts of genetically engineered crops on pesticide use in the U.S. -- the first sixteen years. Environ Sci Eur 24, 24 (2012)