COP 15: Pesticides et OGM
Le bilan pas très positif
Du 7 au 19 décembre 2022, s'est tenu à Montréal la COP 15, la 15e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies (CDB). Cet événement international visait à fixer de nouveaux objectifs et à rehausser le niveau d’ambition des États pour les 10 prochaines années. L'un des objectifs préliminaires présentés parlait d’une réduction de deux tiers de l’utilisation des pesticides à l’échelle mondiale : pour finalement s’entendre sur “réduire de moitié au moins le risque global lié aux pesticides” (Cible 7). Au terme de la COP 15, le nouveau Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal a été adopté par plus de 195 États.
Le contenu suivant est tiré du bilan de la COP 15 réalisé par Simone Lovera, directrice de la Global Forest Coalition, traduit par Gaëlle Le Gauyer. Malheureusement, en ce qui concerne notamment les biotechnologies et les pesticides, les nouvelles ne sont pas très bonnes...
Des mauvaises nouvelles
Pas d’analyse exhaustive de l’horizon technologique
Un grand nombre des propositions les plus progressistes, qui touchaient directement ou indirectement aux intérêts des entreprises, ont été impitoyablement supprimées dans les versions finales issues des compromis. Le paquet final de décisions s’est révélé véritablement décevant pour les militants qui espéraient des positions fortes, notamment sur la mise en place d’un mécanisme d’analyse prospective des nouvelles technologies, ou sur des mesures visant à réduire les risques liés à la biologie synthétique, aux organismes génétiquement modifiés, aux fausses solutions climatiques telles que la bioénergie et la capture et la séquestration du carbone, ou encore à la privatisation et la commercialisation des informations génétiques par le biais de systèmes d’information de séquençage numérique. Des mesures initiales ont été prises pour lancer une analyse prospective en matière de biologie synthétique, dans une décision à part, mais la proposition n’est pas incluse dans le texte du CMB (Cadre Mondial de la biodiversité) lui-même. Sur une note plus positive, les tentatives d’inclure la géo-ingénierie dans le CMB, c’est-à-dire les technologies permettant de manipuler le climat à grande échelle, ont également été empêchées.
Pas de responsabilité juridiquement contraignante pour les entreprises
De même, d’importantes propositions qui avaient pour but de rendre les entreprises légalement responsables des dommages qu’elles causent à la biodiversité ont été impitoyablement effacées du texte final du CMB. Les cibles relatives au rôle et à la responsabilité du secteur privé et des consommateurs ont été édulcorées par des phrases vagues et creuses sur la nécessité « d’encourager » et de « donner les moyens » aux entreprises de surveiller les risques existants, les dépendances et les impacts sur la biodiversité, et de « fournir des informations » à ce sujet aux consommateurs afin qu’ils puissent faire des choix durables. Ce type de reporting volontaire a joué un rôle prépondérant dans les programmes de certification et autres systèmes de marketing écologique, qui sont généralement connus pour leurs échecs, car les institutions censées contrôler ces déclarations dépendent souvent financièrement des entreprises qu’elles devraient auditer, si tant est qu’elles effectuent réellement ces contrôles. Les propositions du texte supposent également que les consommateurs seraient en mesure de choisir, alors que la plupart des habitants de cette planète sont tout simplement trop pauvres pour le faire.
Notre action à la COP 15 pour dénoncer la présence des lobbyistes
Aucune reconnaissance de la responsabilité des régimes et des systèmes alimentaires non-durables
Les allusions à la nécessité de transformer les régimes alimentaires et/ou les systèmes alimentaires dans leur ensemble, pour réduire en particulier l’impact de l’élevage non durable, ont été retirées du texte, alors que celui-ci constitue l’une des principales causes de la perte de biodiversité et du changement climatique. Ces références ont été remplacées par la répétition d’une cible déjà existante, qui vise à réduire de moitié le gaspillage alimentaire mondial. Et tandis que l’on se réjouissait du fait qu’une cible liée, portant sur l’agriculture, la sylviculture et la pêche durables, mentionne spécifiquement la nécessité d’une augmentation substantielle des pratiques agroécologiques, cette référence est désormais accompagnée par l’idée « d’intensification durable », un terme souvent utilisé par les industries pour promouvoir des formes encore plus intensives d’élevage, ou l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés pour « intensifier » la production agricole.
De faibles mécanismes de mise en œuvre
De plus, le cadre de suivi et les mécanismes de mise en œuvre qui ont été accordés ne garantissent pas que les nobles recommandations du CMB conduiront à des actions réelles et concrètes sur le terrain. À l’instar du régime climatique, il existe des objectifs mondiaux, mais ce sont les pays eux-mêmes qui décident quelle partie de ces objectifs ils adopteront. Les indicateurs qui ont été mis au point pour guider les pays dans leur processus de reporting sont clairement insuffisants, et dans certains cas étonnamment inadéquats (notamment l’utilisation de systèmes controversés de certification forestière comme indicateurs d’une gestion durable des forêts) et ils omettent pratiquement toutes les dimensions liées au genre, ainsi que les dimensions sociales et économiques de la politique de la biodiversité. Les Parties ne sont pas tenues d’établir des rapports, et aucun autre mécanisme de reddition des comptes n’a été convenu. De ce fait, l’application effective du CMB et des décisions associées repose en grande partie sur la volonté politique des Parties à la CDB.
Des nouvelles affreuses
Mainmise des entreprises à travers les financements du secteur privé
Malgré ces bonnes nouvelles, il y a anguille sous roche, car le CMB a aussi ouvert la porte à « toutes les sources de financement » pour sa mise en œuvre, y compris, et en particulier, le soutien financier du secteur privé. Et même si le CMB indique l’ambitieux montant de 200 milliards de dollars américains, qui devraient être mobilisés chaque année pour financer la protection de la biodiversité, le texte spécifie aussi qu’en réalité, seulement 20 à 30 milliards proviendront de fonds officiels d’aide au développement.
Cela laisse la porte grande ouverte aux pratiques de greenwashing (voire potentiellement pour le blanchiment d’argent, puisque même les fonds illégalement acquis semblent bienvenus). Cela signifie aussi que la politique publique en matière de biodiversité deviendra encore plus dépendante du soutien financier, et donc des caprices et des desideratas, des entreprises et des industries. Il est de mauvais aloi de mordre la main qui vous nourrit. Par conséquent, la dépendance croissante à l’égard des financements privés rendra les gouvernements frileux à l’heure d’adopter des réglementations qui pourraient nuire à leurs « partenaires » commerciaux. Et même si l’on peut se réjouir du fait que le CMB inclue l’objectif de réduire les incitations perverses de 500 milliards de dollars par an d’ici 2030, des recherches ont démontré que, sur le terrain, la mainmise des entreprises sur les décisions de politique publique à travers les financements mixtes représente en réalité un obstacle majeur à la réforme des incitations perverses.
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La voie à suivre
Prévenir les dommages en désinvestissant de la destruction de la biodiversité
Cependant, les nouvelles relatives aux finances n’ont pas toutes été mauvaises lors de la COP15. Outre la reconnaissance des droits autochtones, l’un des éléments les plus positifs du CMB est la cible 14, qui ordonne aux gouvernements d’aligner toutes les activités et les flux fiscaux et financiers sur le CMB. Cet engagement à se détacher de tous les projets et secteurs d’activité qui détruisent la biodiversité, tels que l’élevage non durable, la production de bioénergie à grande échelle et les industries extractives, constitue une reconnaissance cruciale du fait qu’il est insensé d’investir 30 milliards de dollars dans la conservation de la biodiversité alors que 3,1 billions de dollars sont dépensés chaque année pour sa destruction. La cible 14 s’adresse explicitement à tous les niveaux de gouvernement, soulignant ainsi clairement que ce sont les gouvernements qui doivent veiller à ce que les institutions financières publiques et privées retirent leur argent de ces activités néfastes.
Concrétiser les promesses en résistant à la mainmise des entreprises sur le CMB
Comme pour toutes les cibles du CMB, la transformation de ces intéressantes propositions en réalités exigera un plaidoyer constant pour rappeler sans cesse aux gouvernements les engagements qu’ils ont pris en décembre 2022.
Il faudra des campagnes permanentes contre la mainmise des entreprises sur l’élaboration des politiques, par le biais de financements mixtes et d’autres « partenariats », afin de s’assurer que les gouvernements se débarrassent des conflits d’intérêts et souscrivent véritablement à l’esprit du CMB.
Les promesses sont là, sur le papier. Désormais, il nous incombe à toutes et à tous de veiller à ce qu’elles ne deviennent pas, encore une fois, des tigres de papier.
Pour lire le bilan au complet (et voir les bonnes nouvelles de manière générale!)
Lien de source : https://www.boell.de/en/2022/12/29/good-bad-and-ugly-historical-deal-biodiversity