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Pour ce troisième épisode, Louise Hénault-Éthier nous fait un rappel sur le monde du vivant: au programme, révision des notions de bases de biologie et d’écologie. On parle écosystème, faune, flore et biodiversité, sans oublier les dérèglements causés par les pesticides.

 

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L'invitée

Louise Hénault-Éthier est biologiste, professeure associée à l’Institut national de la recherche scientifique et directrice du Centre Eau Terre Environnement, à Québec. Longtemps cheffe de projet scientifique pour la fondation David Suzuki, elle a réalisé son doctorat sur l’efficacité des bandes riveraines à limiter le ruissellement de la pollution d’origine agricole, tel que les herbicides à base de glyphosate. Co-écrivaine du livre «Demain le Québec», et grande passionnée d’insectes, elle a un don pour la vulgarisation, notamment dans son domaine de prédilection: l’écologie. Louise est aussi directrice de TriCycle, est une ferme montréalaise d’élevage d’insectes comestibles.

 

 

La
retranscription
 

 

Cette transcription n’est pas à l’abri de quelques fautes d’orthographe. Étant à l’origine audio, la lecture peut aussi s’avérer moins fluide. Nous avons fait le choix de transcrire la section « scientifique » de la discussion uniquement.
(Pour l’ensemble du contenu, nous vous invitons à écouter l’épisode au complet).

 

 

LOUISE HÉNAULT-ETHIER - [00:13:12] L'écologie s'intéresse aux vivants, à l'interaction entre les organismes d'une même espèce ou d'espèces différentes, ou des populations, des communautés. Donc, grosso modo, on peut s'intéresser en biologie à un insecte, par exemple le ténébrion meunier. Le ténébrion, lui, va manger des grains. Le ténébrion peut être considéré seul. On peut voir l'écologie de l'individu lui-même. Il fait une métamorphose complète, un peu comme le papillon. La larve, elle, ne ressemble pas à l'adulte. L'adulte pond ses œufs. Ça dure une telle durée de temps. Voici ce qu'il aime manger. Ça, c'est la biologie de mon individu. Ensuite, mon individu, il va être dans une population, donc si on prend un élevage d'insectes comestibles, par exemple, on a plusieurs ténébrions qui sont ensemble, combien est-ce qu'on en met à l'intérieur d'un bac, etc. Ensuite, on a des communautés qui vont impliquer aussi d'autres types d'individus. Donc, avec quelles autres espèces est-ce qu'il va interagir dans son milieu naturel? Puis ensuite, au niveau des processus naturels, quelles sont ces interactions au niveau du recyclage des nutriments, par exemple, quels sont les effets de changement du climat sur les populations des insectes dans les milieux naturels? Donc, les écologistes, en fait, sont souvent des gens très curieux, mais aussi passionnés par les statistiques, des gens qui aiment observer la nature dans son état sauvage mais aussi dans des milieux contrôlés pour vraiment comprendre les processus qui génèrent la stabilité de la vie et la résilience des écosystèmes.

 

ÉMILIE - Et c'est quoi les types d'interactions qu'on peut retrouver justement entre le petit ver, puis la musaraigne, ou tous ces animaux-là ? Parce que finalement il y a ces animaux, mais aussi toute la flore ou encore le monde minéral!

 

LOUISE HÉNAULT-ETHIER - En fait, dans la nature, on a ce qu'on appelle des producteurs primaires qui vont par exemple prendre l'énergie du soleil, comme les plantes, pour faire de la photosynthèse et prendre des nutriments qu'ils trouvent dans leur milieu, dans le sol par exemple, à travers les racines, si c'est une plante. Dans le fond, la plante ultimement, « ce qu'elle veut », parce que ce n'est pas nécessairement sa volonté, comme on pourrait l'exprimer des humains, c’est chercher à se reproduire et à se multiplier. Donc la plante, elle va faire des fleurs, attirer des pollinisateurs, créer des semences qui vont tomber au sol, peut-être emportées par un oiseau qui va les manger, qui va aller les semer un peu plus loin. Donc là, on a nos consommateurs primaires, ceux qui vont venir gruger le feuillage, par exemple, la chenille qui va gruger le feuillage d'une plante. C'est sûr que si on est dans un champ et qu'on essaie de cultiver des plantes pour des fins agricoles, on ne veut pas qu'il y en ait trop de ces petites chenilles-là parce que sinon, elles vont voler notre propre garde-manger, mais elles font partie de la nature. Et là, il va y avoir des interactions. Dans le milieu naturel, par exemple, disons qu'on a un puceron qui est sur un plan de soya, qui va s'alimenter de sa sève : le puceron lui-même, il va peut-être y avoir un parasitoïde, comme une petite guêpe miniature qui va vouloir, elle, venir pondre son oeuf dans le puceron pour qu'il y ait un bébé larve de guêpe qui se développe à l'intérieur du puceron, le manger de l'intérieur, et le puceron à ce moment-là, n'est plus capable de manger la plante, donc ça protège la plante, puis la larve de guêpe va pouvoir se développer puis grandir, se reproduire, faire d'autres larves de guêpes. Donc, quand on regarde le système agricole d'un point de vue écologique, oui, on voit nos producteurs primaires, nos consommateurs primaires, des prédateurs. On voit des organismes qui font de la décomposition des matières organiques, qui retournent les éléments au sol. Mais on voit aussi que dans cette complexité-là, il y a un équilibre naturel qui s'installe, qui peut être perturbé notamment par des pesticides. Donc si on reprend l'exemple du puceron sur du soya, si on traite notre plant avec des pesticides et que le puceron meurt, la petite guêpe parasitoïde n'aura plus son garde-manger pour se reproduire. Donc la petite guêpe parasitoïde, elle aussi, elle va mourir. Mais là, s'il y a un autre puceron qui arrive d'ailleurs, il n'y aura plus le parasitoïde pour venir s'en débarrasser. Ou même chose si ça avait été une coccinelle qui mange les pucerons. S'il n'y a plus de pucerons, les coccinelles ne peuvent pas survivre, s'alimenter. Donc là, ça débalance l'écosystème, ce qui fait en sorte qu'avec une pression comme des pesticides, on peut venir perturber le fonctionnement naturel d'un écosystème. Et on devient dépendant aux interventions liées aux pesticides, par exemple, parce que le système n'est plus capable de se réguler par lui-même. Donc dans le milieu agricole, dans un milieu qui est respectueux de l'environnement, où on a une production qui est écologique, on va avoir quelques mauvaises herbes. Pourquoi? Parce que ça fournit du pollen, du nectar pour des petits pollinisateurs qui sont bons pour nos grandes cultures, mais aussi ça fournit de la nourriture pour nos prédateurs, nos parasitoïdes. On garde un écosystème fonctionnel. Dans une monoculture dénaturalisée à l'extrême sur laquelle on fait beaucoup de traitements d'insecticides ou d'herbicides ou de fongicides, là, on a une perturbation du fonctionnement naturel de notre écosystème. Peut-être qu'on a moins de prédateurs, de parasitoïdes, de plantes qui fournissent du nectar, du pollen pour les insectes pollinisateurs. Peut-être qu'on va déranger les insectes décomposeurs, les vers de terre, les escargots. Il n'y aura plus de recyclage des nutriments, avec des matières organiques qui vont s'accumuler au sol. Ça va appeler plus de champignons. Plus de champignons, ça risque de rendre nos plantes de culture malades. Ça va nous prendre plus de fongicides. Donc, l'écosystème tend à s'autoréguler. Puis quand l'humain intervient avec des pressions majeures comme les changements climatiques, la fertilisation intensive, les pesticides, on dérègle le fonctionnement, puis là l'écosystème devient fragile et un peu dépendant d'une intervention perpétuelle de l'homme.

 

- Rachel Carson, Printemps silencieux 

 

Sur des portions de plus en plus nombreuses du territoire américain, le retour des oiseaux n'annonce plus le printemps et le lever du soleil naguère rempli de la beauté de leurs chants, est étrangement silencieux. La disparition soudaine du chant des oiseaux, la suppression de la couleur, de la beauté et de la valeur qu'ils apportent à notre monde est survenue en douceur, insidieusement, sans même que s'en rendent compte ceux qui, chez eux, ne sont pas encore touchés par ce phénomène.

 

 

ÉMILIE -  [00:20:15]: Quand il y a un déséquilibre de l'écosystème, c'est quoi concrètement qui va nous alerter?

 

LOUISE HÉNAULT-ETHIER - Définitivement, quand on n'entend plus les oiseaux chanter, c'est un cri d'alerte. Il y a des espèces qui peuvent être considérées comme des indicatrices ou des sentinelles. Les gens malheureusement s'intéressent peu aux insectes, qui sont par ailleurs fascinants. Les insectes sont à la base de la chaîne alimentaire de plusieurs écosystèmes. C'est des décomposeurs, c'est des pollinisateurs, ils vont nourrir les chauves-souris, les oiseaux, les poissons. On a besoin des poissons pour pêcher, pour manger. Donc, on porte peu attention aux petits invertébrés, comme les escargots, comme les insectes, comme les vers de terre, mais quand ils s'absentent d'un écosystème, on voit rapidement les répercussions sur ceux qui s'en nourrissent. Donc, quand on voit une diminution des oiseaux dans les champs, c'est certain que les amateurs d'ornithologie sont attristés. Et puis, on ne peut pas simplement ramener les oiseaux en disant, « je vais vous donner des graines dans une mangeoire. » Il y a beaucoup d'oiseaux qui sont insectivores, c'est pas comme ça qu'on va les ramener. Donc c'est difficile de rétablir l'équilibre un coup qu’il est perturbé, quand on a trop empiété sur le milieu naturel, quand on a trop utilisé de fertilisants, de pesticides, Puis là, avec les changements climatiques, il y a une pression qui se fait de façon accélérée à laquelle les organismes vivants ont beaucoup de difficultés à s'adapter à une vitesse suffisamment grande pour poursuivre le rythme. On entre dans une ère qui est caractérisée par certains scientifiques d'extinction massive accélérée. Et là, de plus en plus de projets de recherche reviennent à l'essence, à la base. Encore récemment, d'autres publications qui sont sorties démontrent qu'on a moins d'insectes volants, on a moins d'insectes au sol, alors les effets en cascade sur les autres niveaux de la chaîne trophique dans l'écosystème sont possiblement liés à cet effondrement des populations d'invertébrés qui sont passées inaperçues pendant très longtemps parce que ce n'était pas un objet de recherche aussi populaire, disons, que des grands animaux charismatiques.

 

 

ÉMILIE -  [00:22:51] Dans son livre, Rachel Carson, j'ai été choquée de voir à quel point il y avait un épandage massif de pesticides sur les forêts, notamment aux États-Unis, il y a 60 ans. Au Québec, est-ce que c'est la même chose? Quelle est la réalité aujourd’hui ? 

 

LOUISE HÉNAULT-ETHIER - Je pense que ça a beaucoup diminué. C'est certain que la prise de conscience qui a été faite avec la publication de ce livre-là, il y a 60 ans, qui soit dit en passant, n'a pas été accueillie et acclamée par tous. Il y a beaucoup de gens qui ont décrié en disant que ce n'était pas réaliste ce qui était représenté. Ce qu'on voit dans ce livre-là, c'est vraiment des hécatombes, parce que les substances qui étaient utilisées à cette époque-là étaient des substances qu'il fallait étudier en très grand volume. C'était aussi le début de la révolution verte. On maîtrisait mal ces nouveaux outils-là, on peinait à les caractériser. Donc, depuis ce moment-là, il y a des changements qui se sont opérés. Entre autres, à cause de la publication de ce livre-là, il y a eu une prise de conscience que les impacts des pesticides ne sont pas seulement aux endroits qu'on tente de traiter, dans les champs, que c'est pas seulement parce qu'on s'est débarrassé des moustiques qu'on est heureux, là, il y a des effets partout à travers la chaîne alimentaire, sur les poissons, il peut avoir aussi des effets de dérive qui sont mieux connus maintenant. Donc oui, au Québec, on a quand même des usages importants des pesticides. On ne voit pas de réduction suffisante qui pourrait diminuer fortement le risque sur la santé environnementale et la santé des écosystèmes. Mais on utilise des ingrédients actifs qui sont plus nécessaires avec d'aussi grands volumes, d'aussi grande masse. Donc on a peut-être une réduction au niveau du nombre de kilos d'ingrédients actifs qui est utilisé parce que ce n'est pas les mêmes substances. Elles sont plus efficaces à plus petites doses. Est-ce que c'est bon ou pas? Ça c'est questionnable. Il y en a qui sont quand même très toxiques à très faible dose.

 

ÉMILIE -  [00:25:01]: C'est quoi comme type de substances qu'on utilise au Québec?

 

LOUISE HÉNAULT-ETHIER - Par exemple, on n'utilise plus le DDT, qui est une des substances phare dans le livre de Rachel Carson. On n'utilise plus la dieldrine, l'aldrine, d'autres composés organochlorés. Mais on utilise encore aujourd'hui des néonicotinoïdes, des pyréthrinoïdes, qui sont des familles de produits chimiques qui sont efficaces à plus petite dose, mais pour certains, particulièrement dans les néonicotinoïdes, plus durables dans les écosystèmes. Donc ils vont prendre beaucoup de temps à se dégrader. Les sous-produits de dégradation peuvent être aussi très toxiques. Donc on a des effets des pesticides utilisés sur les écosystèmes encore aujourd'hui, mais on n'a plus de grands drames comme il y en avait dans le livre de Rachel Carson. Par exemple, un avion qui épand des pesticides, qui passe au-dessus d'un marais, qui ne cesse pas d'épandre, ou qui épand partout sur les forêts. Les applications sont vraiment mieux contrôlées, plus ciblées. Il y en a encore, c'est malheureux, mais on n'utilise pas de façon aussi intensive les pesticides qu'on les utilisait auparavant.

 

 

ÉMILIE -  [00:26:29] Tout à l'heure, on parlait des hécatombes. Rachel Carson en parle beaucoup dans le livre. C'est quoi les symptômes qu'on va avoir chez les oiseaux quand ils sont intoxiqués?

 

LOUISE HÉNAULT-ETHIER - Les symptômes vont dépendre non seulement de l'animal concerné, mais aussi de la substance à laquelle il est exposé. C'est certain que pour une exposition à des insecticides, par exemple, l'oiseau pourrait ingérer une semence traitée avec un insecticide, ou manger un insecte sur lequel il y a eu de l'insecticide vaporisé. Donc, les symptômes varient dépendamment de quel était l'ingrédient actif, mais typiquement, les insecticides affectent le système nerveux. Ça peut être des mouvements incontrôlés, des spasmes, des contractions musculaires. Évidemment, le cœur étant un muscle, à un moment donné, à l'extrême, un cœur qui ne bat plus de façon régulière va provoquer un arrêt cardiaque, mais ça peut aussi être des effets avant d'entraîner la mort. Par exemple, on va inhiber la recapture de certains neurotransmetteurs dans le cerveau, donc ça déclenche vraiment des contractions involontaires et répétées. On peut voir ça chez plusieurs animaux, pas juste les oiseaux. Il peut y avoir aussi des petits mammifères qui vont être incommodés. Si on pense à un chat qui va lécher son pelage après être allé dehors. Si on pense à un petit rongeur qui va avoir mangé des semences traitées ou qui va avoir été grignoté. De la nourriture qui a été exposée à une vaporisation ou aux pesticides. Les symptômes chez les mammifères aussi, ça peut être des tremblements, des spasmes, des convulsions, de la salivation, des vomissements, dans des cas extrêmes. Dans son livre, Rachel Carson décrit un petit mammifère qui peut être retrouvé, recroquevillé sur lui-même, ses petites mains toutes fermées, dans une posture clairement qui démontre la souffrance involontaire que l'animal a vécueavant d'arriver à la fin de sa vie. C'est certain que chez les pesticides, on peut avoir des effets de toxicité aiguë. Donc un effet sévère à court terme, souvent lié à une exposition à une forte dose. Les symptômes qu'on a évoqués, les spasmes, les tremblements et autres, ça peut être lié à ça. Mais il peut aussi y avoir des symptômes qui vont être liés à des expositions à de plus faibles doses, une exposition chronique, donc on en a toujours un peu dans notre environnement, dans notre eau, dans notre alimentation. Et là, c'est beaucoup plus difficile de cerner quels sont ces effets-là. D'ailleurs, l'humain est exposé chroniquement à travers notre alimentation, à travers nos milieux de vie, parfois nos milieux de travail, à de petites doses de pesticides. Et là, c'est bien difficile de faire le parallèle entre des essais qu'on ferait, par exemple, sur des animaux de laboratoire, parce que là, on contrôle à quelle dose, à quel type de mélange ils sont exposés. Et dans la population humaine, on est tous un peu des rats de laboratoire involontaires. Il peut y avoir une multitude de facteurs confondants qui font en sorte qu'on ne sait pas si l'effet observé chez les humains est réellement lié au pesticide ou à un autre facteur confondant. Un facteur confondant peut être, par exemple, fumer la cigarette. On sait que ça peut entraîner des cancers. Quelqu'un qui a un cancer, est-ce que c'est parce qu'il fumait la cigarette ou parce qu'il a été exposé à différentes doses de pesticides tout au long de sa vie? C'est très, très difficile de le savoir. Mais, du point de vue de la santé humaine, il y a des liens qui ont été faits qui sont quand même assez robustes au niveau de la maladie de Parkinson par exemple. On sait que c'est une maladie qui peut être déclenchée notamment chez des agriculteurs qui ont manipulé des pesticides ou des professionnels qui ont manipulé des pesticides pendant un certain temps. Et c'est le type de maladie neurodégénérative dans ce cas-là qui se présente à long terme, mais qui va aussi entraîner des enjeux sur le fonctionnement des neurones donc des spasmes, des tremblements, un peu ce qu'on retrouverait chez un animal comme on l'a décrit un peu plus tôt. Donc, l'humain est un animal à la base, mais on est un animal complexe qui est quand même capable de détoxifier plusieurs substances. On est fait plus gros aussi que bien des petits animaux, donc on n'est pas impacté de la même façon. Et puis en général, on évite les expositions aigües, sévères, de grosses doses. Quoique dans le livre de Rachel Carson, on parle aussi d'intoxication volontaire, de gens qui mettent fin à leur jour en buvant littéralement des pesticides, ça existe encore un peu partout dans le monde, dans plusieurs pays en voie de développement. Donc ça, c'est une thématique qui était présente il y a 60 ans, qui est encore malheureusement présente aujourd'hui puis ça avait été dénoncé par le Rapporteur spécial au droit à l'alimentation de l'ONU, par exemple, comme étant une situation où est-ce qu'on dit, c'est certain sur l'étiquette d'un pesticide, on dit qu'il ne faut pas le consommer, mais reste que c'est des produits hautement toxiques qui peuvent être utilisés à d'autres fins.

 

 

ÉMILIE -  [00:31:35] Rachel Carson, elle se base, sur des études scientifiques, mais j'étais vraiment surprise à quel point elle se base aussi d'expérience et d'observation des citoyens. Par exemple, ils assistent à des hécatombes d'oiseaux ou ils se rendent compte qu'ils ne peuvent plus nourrir les petites hirondelles qui viennent chez eux. C'est quoi pour toi l'importance de cette science citoyenne?

 

LOUISE HÉNAULT-ETHIER - C'est super important. Il va toujours y avoir plus de citoyens que de scientifiques dans notre communauté. Donc les citoyens peuvent devenir les yeux et les oreilles des scientifiques. Ça va prendre des scientifiques pour développer une méthodologie de recherche robuste, statistiquement représentative, pour comprendre les limites, les enjeux de collecte de données comme celles qui sont faites dans les communautés. Mais reste qu'il y a de beaux projets de recherche, notamment au niveau du déclin des insectes en Europe. Il y en a eu certains où, par exemple, on demandait aux citoyens de prendre des photos de leur plaque d'immatriculation avant un voyage en voiture, ensuite après le voyage en voiture, de compter le nombre d'insectes écrasés sur la plaque d'immatriculation. C'est définitivement une activité qui peut être ludique pour les citoyens, facile à réaliser, et là on a toujours un contrôle avec des photos où il y a un scientifique qui peut passer par en arrière pour prendre acte. Mais les scientifiques eux-mêmes n'auront jamais les moyens d'aller sillonner toutes les campagnes d'un pays pour mesurer ce genre de choses-là. Puis à travers des projets citoyens comme ça, ça nous permet de constater qu'il y a un déclin des populations d'insectes volants dans certaines régions du monde. Et que c'est un déclin qui peut être multifactoriel, bien entendu, mais on a suffisamment d'évidence scientifique pour nous proposer que les pesticides sont fortement associés à ça, mais aussi la perte d'habitat, les changements climatiques. Donc, les citoyens peuvent vraiment aider les scientifiques à mieux comprendre le monde qui nous entoure et à monter des projets comme ça. On en a ici, entre autres, l'Insectarium de Montréal qui propose des projets pour suivre les populations du papillon monarque, par exemple. On en a d'autres, maintenant des applications sur des téléphones cellulaires intelligents où on peut prendre en photo certaines plantes. Ensuite, c'est reclassé selon l'identité de la plante, sa famille, est-ce que c'est une espèce envahissante, à quel endroit du monde on peut l'identifier à l'aide d'une donnée GPS. Donc, oui, définitivement, il y a de la place pour les citoyens dans toute la science écologique qui nous permettrait de mieux caractériser l'impact des pesticides, entre autres, sur notre écosystème.

 

 

ÉMILIE -  [00:34:25]: Vous avez vraiment une voix qui invite à l’implication, une voix assez optimiste. Est-ce que vous pensez qu'on est sur la bonne voie?

 

LOUISE HÉNAULT-ETHIER - Si je n'étais pas optimiste, je ne ferais pas ce type de travail là. Je pense que je suis très inquiète pour la suite des choses, l'état de notre écosystème, le peu de respect général qu'ont eu les décideurs antérieurs ou les institutions ou même la population par rapport à la nature. On voit souvent l'homme comme étant déconnecté des écosystèmes, comme étant un être supérieur qui aurait des droits différents et ça fait en sorte qu'on ne se soucie pas autant de chacun des petits maillons de l'écosystème qui sont pourtant essentiels à notre survie. On oublie que sans air pur, sans eau propre, sans aliments, on ne peut pas survivre sur la Terre. Donc on a besoin de tous les maillons des écosystèmes comme être humain pour survivre. Et ça, ça implique de s'intéresser à des organismes qui peuvent avoir l'air aussi insignifiants que des petits escargots ou des insectes qui sont à la base de nos écosystèmes. Je pense qu'on doit être optimiste parce que depuis la publication de « Printemps silencieux », il y a eu un appel à la conscientisation énorme. Et ça s'est transmuté dans une prise d'action politique, citoyenne, et aussi des institutions, même des entreprises. Il y a de plus en plus d'entreprises qui tendent à avoir des pratiques écoresponsables. On inclut maintenant aussi là-dedans la justice environnementale au niveau des populations elles-mêmes parce qu'on sait que les conséquences de l'utilisation des pesticides ou des changements climatiques sont plus sérieuses pour les populations vulnérables. Donc, je pense qu'il y a beaucoup d'opportunités pour que chacun s'engage selon son champ d'intérêt d'expertise. Qu'on soit un artiste, qu'on soit une enseignante, qu'on soit un politicien, un optométriste, dans toutes les sphères de la vie, chacun peut agir pour mieux protéger les écosystèmes, et c'est quelque chose qui est en train de se passer. Les citoyens se mobilisent, ils passent à l'action. Est-ce que c'est trop peu, trop tard? On peut se le demander, mais moi je suis optimiste. Je vois vraiment que les choses ont bougé depuis la publication de Printemps silencieux, mais aussi juste à ma petite échelle à moi depuis que j'ai commencé à m'engager comme scientifique pour comprendre le monde qui nous entoure, puis éclairer la prise de décision publique à l'aide d'évidences scientifiques. Il y a des choses qui ont bougé, on a des règlements qui sont plus sévères, qui encadrent mieux l'utilisation de certains pesticides. On a aussi des professionnels qui veulent diminuer l'apparence de conflits d'intérêts, par exemple, pour ce qui a trait à la prescription des pesticides. On a une reconnaissance des maladies professionnelles des agriculteurs, comme le Parkinson. Je pense qu'en peu de temps, il y a eu beaucoup d'actions d'entreprise. On ne vit pas dans le même monde que nous décrivait Rachel Carson, même si à certains égards, il y a des enjeux qui reviennent dont on ne s'est pas totalement extirpés, mais je pense qu'en continuant à agir, on va y arriver.

 

 

Passez à l'action! Consultez l'ensemble des revendications de Vigilance OGM sur les pesticides, signez le manifeste, et participez aux futurs appels à l’action.

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Les références

Les études, mémoires et consultations

  • « Hot topics and controversies on human and environmental toxicity of the world’s most widely sold pesticides », Louise Hénault-Éthier ; December 2013, (Lien)
     
  • « Examiner les impacts des pesticides sur la santé publique et l’environnement, ainsi que les pratiques de remplacement innovantes disponibles et à venir dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation, et ce en reconnaissance de la compétitivité du secteur agroalimentaire québécois », Commission de l'agriculture, des pêcheries, de l'énergie et des ressources naturelles, (Lien)
     
  • « Les nécessaires et urgentes politiques publiques à mener pour répondre aux impacts des pesticides sur la santé publique et l’environnement au Québec »;  Louise Hénault-Éthier et Mélanie Le Berre ; Juillet 2019, (Lien)
     
  • « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas » Hallmann CA, Sorg M, Jongejans E, Siepel H, Hofland N, Schwan H, et al. (2017), (Lien)
     
  • « Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers », Francisco Sánchez-Bayo, Kris A.G. Wyckhuys, Biological Conservation, Volume 232, 2019, Pages 8-27, (Lien)
     
  • « Insectes comestibles: Perspectives pour la sécurité alimentaire et l’alimentation animale » ; Arnold van Huis Joost Van Itterbeeck Harmke Klunder Esther Mertens Afton Halloran Giulia Muir et Paul Vantomme - Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture - 2014, (Lien)
     
  • « Potential use of mealworm frass as a fertilizer: Impact on crop growth and soil properties », Houben, D., Daoulas, G., Faucon, MP. et al. Potential use of mealworm frass as a fertilizer: Impact on crop growth and soil properties. Sci Rep 10, 4659 (2020), (Lien)
     
  • « Mealworm frass as a potential biofertilizer and abiotic stress tolerance-inductor in plants », J. Poveda, A. Jiménez-Gómez, Z. Saati-Santamaría, R. Usategui-Martín, R. Rivas, P. García-Fraile, Applied Soil Ecology, Volume 142, 2019, Pages 110-122, (Lien)
     
  • « Insect frass and exuviae to promote plant growth and health », Katherine Y. Barragán-Fonseca, Azkia Nurfikari, Els M. van de Zande, Max Wantulla, Joop J.A. van Loon, Wietse de Boer, Marcel Dicke, Insect frass and exuviae to promote plant growth and health, Trends in Plant Science, Volume 27, Issue 7, 2022, Pages 646-654, (Lien)

 

Autres liens

  • Louise Hénault-Ethier sur Research Gate (Lien)
  • L’Ordre des agronomes du Québec, (Lien)
  • « Les insectes comestibles et l’environnement » de l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) (Lien)
  • Plan d’agriculture durable 2020-2030 - MAPAQ, (Lien)
  • La fondation David Suzuki, (Lien)
  • INRS, Centre Eau Terre Environnement, (Lien)
  • L’entreprise Tricycle, (Lien)